Valeant, vous connaissiez? Pas moi. Enfin, si peu. Pourtant, l'entreprise qui a officiellement son siège à Laval était, cet été, la plus imposante entreprise au Canada, rien de moins.

Valeant a acquis cet incroyable statut en quelques années en multipliant les acquisitions d'entreprises pharmaceutiques. Ces transactions ont littéralement fait exploser le titre boursier, qui est passé de quelque 27$ il y a cinq ans à un sommet de 346$ cet été. Imaginez, l'entreprise gérée au New Jersey valait 117,8 milliards US au début d'août, plus que la Banque Royale ou toute autre entreprise en Bourse au Canada!

Valeant a attiré mon attention pour la première fois en mai 2014. L'entreprise tentait alors d'acquérir Allergan, cette société californienne qui fabrique le fameux Botox, produit qui efface les rides et fait paraître toujours aussi jeune. La direction d'Allergan a énergiquement rejeté cette tentative d'acquisition hostile, ce qui n'a pas empêché Valeant de poursuivre son rythme d'acquisition d'enfer.

C'est dans ce contexte de croissance fulgurante que Valeant a fait l'objet d'un rapport financier dévastateur, hier, de la part de la firme Citron Research. Essentiellement, Citron affirme que Valeant vend des médicaments à un réseau d'entreprises clientes fantômes. Ces fausses ventes gonfleraient les revenus et les profits de Valeant et, ce faisant, doperaient le titre boursier.

Les deux clientes qui serviraient à grossir les ventes sont les entreprises américaines Philidor Rx Services et R&O Pharmacy. Les deux partagent le même numéro de téléphone et une même équipe de gestion. Leur numéro de téléphone est également identique à celui de trois sites web de vente de médicaments, tous trois créés le même jour.

Selon Citron, il s'agit d'une «fraude visant à créer des factures et tromper les vérificateurs comptables», à l'exemple de l'ex-multinationale de l'énergie Enron, devenue le plus grand scandale financier de l'histoire.

On a découvert le pot aux roses, selon Citron, quand le PDG de l'entreprise, Michael Pearson, a déclaré lundi que depuis près d'un an, Valeant détenait une option, restée secrète, pour acheter Philidor.

Au surplus, Citron reprend les affirmations d'un récent document juridique selon lequel R&O se voit réclamer 69 millions de la part de Valeant alors qu'elle n'a jamais reçu de factures de Valeant. Bref, Citron soulève des allégations graves.

Devant de telles allégations, le titre de Valeant a littéralement plongé hier, perdant quelque 40% avant de remonter lorsque l'entreprise a réfuté les allégations. Selon la direction de Valeant, les ventes aux pharmacies spécialisées comme Philidor sont enregistrées dans les états financiers de Valeant seulement lorsque les médicaments sont effectivement envoyés aux patients. Il ne s'agit donc pas de fausses ventes, dit-elle.

Le rapport détracteur de Valeant, faut-il bien préciser, a été réalisé par la firme du vendeur à découvert Andrew Left, dont les intérêts sont bien connus. En effet, le genre de transactions boursières de l'activiste sur le titre de Valeant lui fait faire des profits quand le titre boursier recule. Nul doute que le rapport a dû lui rapporter gros hier, suffisamment pour lui permettre de se défendre contre d'éventuelles poursuites.

«Il y a certaines similitudes entre Valeant et Enron, mais il faut se méfier de la source, un vendeur à découvert. Il y a effectivement de la fumée, bien que l'entreprise réfute fermement les allégations», dit Yvan Allaire, président de l'Institut sur la gouvernance (IGOPP).

Le grand intérêt financier d'Andrew Left et de sa firme Citron ne signifie pas nécessairement que le rapport est totalement erroné. Au printemps 2011, les investisseurs ont été témoins d'un scénario semblable avec l'entreprise forestière Sino-Forest.

À l'époque, la société Muddy Waters avait publié un rapport dévastateur sur Sino-Forest, affirmant que l'entreprise gonflait ses actifs forestiers et ses revenus. Le propriétaire de Muddy Waters, Carson Block, avait empoché de juteux profits en vendant le titre à découvert, laissant les médias sceptiques.

Un an plus tard, Sino-Forest a dû se protéger de la faillite devant les tribunaux, croulant sous les accusations de fraude des autorités et les poursuites des investisseurs.

Étonnamment, le rapport de Citron a eu un fort impact en Bourse, même si l'enjeu du présumé réseau fantôme se chiffre à quelques millions de dollars pour une entreprise dont le chiffre d'affaires annuel s'élève à près de 15 milliards.

Selon Yvan Allaire, cette vive réaction s'explique par le fait que Valeant a des attentes de croissance très élevée. Tout écart avec ces attentes peut faire chuter le titre boursier. «Les exigences de croissance additionnelles de telles entreprises peuvent parfois être suffisantes pour inciter la direction à étirer l'élastique», dit-il.

Quoi qu'il en soit, Valeant demeurera sous les projecteurs. Son PDG, Michael Pearson, doit passer devant le Congrès américain pour justifier la forte augmentation du prix des médicaments des entreprises qu'elle a acquises. Encore une fois, Citron soutient que cette hausse sert à masquer le manque de croissance de ses ventes. Une histoire à suivre...