La possibilité d'un gouvernement fédéral minoritaire déplaît royalement au milieu des affaires pour plusieurs bonnes raisons. Mais une question se pose: un gouvernement minoritaire est-il si nuisible à l'économie qu'on le dit?

D'abord, il faut comprendre que les gens d'affaires doivent composer avec une multitude de risques (financiers, d'exécution, de marché, de réputation, etc.). Dans ce contexte, «les entreprises aiment la certitude. Elles n'aiment pas les risques politiques accrus», déclarait à ce sujet le porte-parole de la Chambre de commerce de Toronto, Douglas Gould, dans un reportage de mon collègue Hugo de Grandpré, paru lundi.

Un exemple: le projet de libre-échange Partenariat transpacifique (PTP). Un gouvernement minoritaire pourrait être porté à retarder la ratification d'un tel traité puisque le parti au pouvoir se mettrait à dos les agriculteurs au cours d'élections imminentes, par exemple. Ne sachant sur quel pied danser, les entreprises gagnantes du traité pourraient repousser l'agrandissement de leurs capacités de production, ce qui nuirait à l'économie.

Autre exemple: quel gouvernement minoritaire oserait faire des compressions importantes pour équilibrer un budget, sachant qu'elles déplairaient inévitablement à une partie de l'électorat, ce dont profiterait l'opposition pour le renverser?

Bref, en principe, mieux vaut un gouvernement qui a la légitimité de trancher.

Impact nul

En pratique, cependant, il est difficile de mesurer les effets néfastes d'un gouvernement minoritaire. Depuis 62 ans, sur les 20 législatures au Canada, 9 ont été composées de gouvernements minoritaires (45%), siégeant pendant environ 17 ans (27% du temps). Des 9 gouvernements minoritaires, 5 ont été conservateurs et quatre, libéraux. Or, l'impact négatif apparent de ces gouvernements sur l'économie a été pratiquement nul.

Pour vérifier, j'ai utilisé deux indicateurs: la croissance annuelle des emplois et la progression de l'économie (produit intérieur brut après inflation). La période va du dernier gouvernement libéral de Louis Saint-Laurent, en 1953, au gouvernement de Stephen Harper, en 2014.

Pendant ces 62 ans, la croissance des emplois a été de 2,5% par année, en moyenne. Or, durant les 17 ans de gouvernements minoritaires, ce taux fut identique, à 2,5%!

Constat semblable pour le PIB: la croissance annuelle moyenne a été de 3,5% depuis 1953, tandis que celle des années minoritaires a été de 3,8%, soit légèrement plus.

Évidemment, ces calculs simples ne disent pas tout. Les décisions des gouvernements ont souvent des effets économiques bien après la fin de leur mandat. De plus, il est toujours difficile de savoir jusqu'à quel point un gouvernement fait fluctuer l'économie, à court et à long terme. Des éléments comme le boom démographique - ce fut le cas dans les années 60 - ou une guerre sont bien plus déterminants.

Il reste que les chiffres ne semblent pas, à première vue, corroborer le principe selon lequel un gouvernement minoritaire nuit à l'économie.

2008: heureusement minoritaire

La plupart des économistes jugent que le gouvernement minoritaire conservateur de 2008-2011 est le contre-exemple de ce principe de nuisance d'un gouvernement minoritaire.

En octobre 2008, le gouvernement Harper est réélu avec une minorité de députés, en pleine crise financière mondiale. Cinq semaines plus tard, le ministre des Finances, Jim Flaherty, dépose un énoncé économique austère, qui mise sur un retour rapide au déficit zéro.

Or, la plupart des économistes jugent que cette précipitation est aberrante, parce qu'elle accentuera la récession. Les partis de l'opposition exigent des changements, ce que fera le gouvernement Harper dans son budget de janvier 2009 pour éviter d'être renversé.

On connaît la suite: le gouvernement a engrangé un déficit de 56 milliards de dollars, mais le Canada est le pays qui a le mieux traversé la crise. Sans le pouvoir des partis de l'opposition, l'économie canadienne aurait probablement souffert bien davantage.

Un gouvernement de coalition

Par ailleurs, si le Canada a connu plusieurs gouvernements minoritaires, les gouvernements de coalition, plus stables, ont été très peu nombreux. Le seul de l'époque moderne est celui de 1985 en Ontario (libéral-NPD), même si dans les faits, il ne comptait que des ministres libéraux. Ce gouvernement de David Peterson, appuyé par Bob Rae, a alors dirigé la province durant 18 mois.

Selon les derniers sondages, les conservateurs de Stephen Harper pourraient obtenir 32% des votes et 123 sièges, formant un gouvernement minoritaire. L'opposition libérale-NPD aurait de son côté 59% du suffrage et environ 213 sièges.

Compte tenu de ce grand écart, Justin Trudeau et Thomas Mulcair devraient envisager, après les élections, de rendre visite au gouverneur général du Canada, David Johnston, pour lui demander de reconnaître leur gouvernement de coalition.

Ce serait une première dans l'histoire moderne du Canada. Il serait probablement plus fragile que le gouvernement d'un parti majoritairement élu, mais il ne serait pas nécessairement plus nuisible pour l'économie.

9 GOUVERNEMENTS MINORITAIRES DEPUIS 60 ANS

1957 à 1958

John Diefenbaker, conservateur

1962 à 1963

John Diefenbaker, conservateur

1963 à 1965

Lester B. Pearson, libéral

1965 à 1968

Lester B. Pearson, libéral

1972 à 1974

Pierre Elliott Trudeau, libéral

1979 à 1980

Joe Clark, conservateur

2004 à 2006

Paul Martin, libéral

2006 à 2008

Stephen Harper, conservateur

2008 à 2011

Stephen Harper, conservateur