Je sais pertinemment que les marchés financiers fonctionnent essentiellement en anglais. Je comprends aussi que, pour la Banque Nationale, émettre des actions en bas du prix du marché est une nouvelle autrement plus importante que l'abolition d'environ 400 postes.

Mais quand la première banque du Québec met 400 personnes dehors, en plus de faire chuter l'action, n'est-ce pas la moindre des choses de l'annoncer au public non seulement en anglais, mais aussi en français, simultanément?

Revenons sur les événements. Jeudi, à 16h17, la banque publie un communiqué unilingue anglais pour annoncer essentiellement deux mauvaises nouvelles. D'abord, elle doit émettre de nouvelles actions à 41,90$ pour satisfaire ses besoins, soit 1,26$ en bas du prix auquel se négociait le titre 17 minutes plus tôt, à la fermeture des marchés boursiers. La nouvelle fera assurément baisser le titre le lendemain, à l'ouverture des marchés, au grand dam des investisseurs.

Ensuite, la banque abolit des centaines de postes, que certains estiment à environ 400. Le communiqué de 16h17 est publié en anglais seulement sur le fil de presse financier Marketwire. La nouvelle est publiée en français, mais seulement 1h46 plus tard, à 18h03, sur le site Canada Newswire, que consultent les médias généralistes.

Comment expliquer ce si long délai entre les deux communiqués? Explication du porte-parole Claude Breton, de la Banque Nationale: «C'est vraiment en raison de la traduction. Il fallait finaliser la traduction. La règle quasi absolue, c'est de publier dans les deux langues en même temps. Mais quand c'est un événement de nature financière, comme l'émission de capital dans ce cas-ci, l'anglais va parfois précéder le français.»

Une question de traduction, vraiment? Ce genre de décisions n'est-il pas mûri suffisamment longtemps d'avance pour être disponible dans les deux langues en même temps? Dans une banque où tout est censé fonctionner essentiellement en français, ne discute-t-on pas du renflouement de son capital en français d'abord?

Quand le PDG de la Banque, Louis Vachon, annonce dans le communiqué en anglais qu'il «sincerely thank those affected for their dedication», n'avait-il pas d'abord été désolé en français dans sa tête pour ses employés?

Claude Breton explique que ce genre d'émission d'actions est complété illico après la fermeture des marchés et que les derniers détails financiers, comme le prix de 41,90$, sont fixés à la dernière minute. Les détails sont d'abord communiqués en anglais à un marché essentiellement anglais, puis traduits en français, ce qui prend un certain temps et explique le délai.

De plus, il indique qu'à l'interne, le mémo aux employés sur les licenciements a été transmis dans les deux langues en même temps que la publication du communiqué externe en anglais.

Puis-je me permettre une hypothèse? Et si le retard dans la publication du communiqué en français de la Banque jeudi n'avait rien à voir avec la traduction, mais tout à voir avec la gestion médiatique de la nouvelle? Si cette publication tardive sur le fil de presse des médias généralistes n'était pas plutôt destinée à éviter que les médias québécois fassent leurs manchettes avec les abolitions de postes dès le soir et le lendemain matin?

Les faits semblent donner raison à cette hypothèse. En passant en revue les dizaines de communiqués publiés par la Banque Nationale depuis un an, je constate que tous ont été publiés dans les deux langues en même temps ou à quelques minutes d'intervalle. Et même, à la dernière émission de capital, en octobre 2014, les deux communiqués anglais et français ont été publiés à une minute d'intervalle. Qui plus est, les détails financiers de dernière minute à traduire dont parle M. Breton se limitent à trois mots, essentiellement.

En fin de journée jeudi, la section montréalaise de La Presse Canadienne est la première à avoir repris la nouvelle des licenciements en français, vers 17h20, puis 17h45. Le journaliste n'a pas appris l'information du site financier Marketwire, mais de sources internes, vers 16h45. Lors des vérifications d'usage, Claude Breton l'a aiguillé vers le communiqué anglais de Marketwire, lui indiquant que le communiqué était en traduction.

L'Office québécois de la langue française (OQLF) nous indique qu'il ne voit rien de vraiment répréhensible à cette affaire, puisque la banque a finalement publié en français peu de temps après. La Banque Nationale, nous indique l'OQLF, a eu son certificat de francisation en 1983.

Même genre de réponse à l'Autorité des marchés financiers (AMF). Tous les documents financiers des émetteurs doivent être en français ou en français et en anglais, m'indique l'AMF. De plus, les communiqués de presse qui ont trait à des changements importants doivent être déposés aux autorités par l'émetteur en français ou en français et en anglais, mais dans les 10 jours du changement seulement.

Comme c'est l'habitude, Claude Breton, de la Banque Nationale, a répondu rapidement à toutes mes questions, me transmettant même le mémo interne des licenciements et la preuve de sa réception par les employés, à 16h29. N'empêche, ce délai de publication entre l'anglais et le français sent l'opération de relations publiques destinée à épargner la banque. J'espère que je me trompe.