Excellentissime signifie très excellent ou, autrement dit, plus que parfait. Hier, c'est la première fois que je voyais ce mot rare, qui figure à la fin du CV du nouveau patron de SNC-Lavalin, Neil Bruce.

Le terme est en fait une traduction de l'honneur qu'a reçu Neil Bruce en janvier 2012 de la reine Élisabeth II. L'homme est alors devenu Officer of the Most Excellent Order de l'Empire britannique pour sa contribution au domaine de l'ingénierie. «Most Excellent Order» est traduit par «Excellentissime ordre».

SNC-Lavalin a justement besoin d'un gestionnaire exceptionnel pour diriger l'entreprise. Les marges de profit sont sous pression, certains contrats sont en dépassements de coûts, et le secteur pétrolier, devenu l'un des secteurs porteurs de l'entreprise, souffre de la chute vertigineuse du prix du pétrole.

Neil Bruce est exceptionnel aux yeux de la reine, mais est-il l'homme de la situation?

Le gestionnaire de 55 ans n'est pas un nouveau venu chez SNC-Lavalin. Il fait partie des nombreux hauts dirigeants qui ont remplacé l'équipe qui était en place lorsque le scandale des pots-de-vin a éclaté au début de 2012.

En janvier 2013, SNC a même créé un poste pour pourvoir son embauche, celui de président, ressources et environnement. À ce titre, il devenait responsable des activités mondiales de l'entreprise dans les secteurs hydrocarbures et produits chimiques (HPC), mines et métallurgie (M&M), environnement et eau.

Trois mois plus tôt, en octobre 2012, Neil Bruce avait quitté dans la controverse la firme d'ingénierie anglaise AMEC, pour laquelle il agissait comme chef de l'exploitation.

Dans l'industrie, certains attribuaient alors son départ-surprise à un différend avec la haute direction d'AMEC sur l'orientation de l'entreprise de 28 000 employés. À titre de responsable des secteurs pétrolier et minier, Neil Bruce avait comme mission de doubler les profits par action de l'organisation entre 2010 et 2015, mais la diminution des marges de profit d'AMEC en 2012 avait soulevé des doutes sur l'atteinte éventuelle de l'objectif, selon le quotidien Financial Times.

Toujours est-il qu'en janvier 2013, Neil Bruce a été embauché par SNC-Lavalin pour faire croître les activités d'ingénierie de l'entreprise dans le secteur pétrolier et gazier.

En juin 2014, l'homme est justement au coeur de la plus importante acquisition de SNC-Lavalin: Kentz Corporation. La firme de Montréal paie le prix fort pour mettre la main sur l'entreprise anglaise, qui fait passer l'effectif de SNC dans le secteur pétrolier de 4000 à 18 500 employés. Elle offre 935 pences par action (2,1 milliards CAN), soit 61% de plus que l'offre faite 10 mois plus tôt par la firme... AMEC.

Neil Bruce justifie alors l'écart en disant que Kentz avait fortement progressé au cours des mois précédents. L'acquisition devait renforcer la présence de SNC-Lavalin dans le développement des infrastructures d'extraction de gaz de schiste et de pétrole bitumineux. L'acquisition a été officialisée en août 2014.

Or, depuis la transaction, manque de chance: le prix du pétrole a chuté brutalement, passant de quelque 100$US à 44$US le baril. La surabondance de l'offre de pétrole et le ralentissement de la demande forcent les promoteurs à annuler plusieurs projets d'investissements pétroliers.

Le prix de l'action de SNC-Lavalin a suivi le même chemin à la Bourse de Toronto, passant d'un sommet de 58,89$ en août 2014 à 37,63$ hier, un recul de 36%. La nouvelle du changement de patron a été reçue durement par le marché, qui a fait baisser le titre de 3,9%.

Au téléphone, le président du conseil d'administration de SNC-Lavalin, Lawrence Stevenson, affirme que la nomination d'un nouveau PDG est planifiée depuis neuf mois. Neil Bruce a d'abord été nommé en avril chef de l'exploitation, poste qui est aboli avec son entrée comme président et chef de la direction.

Selon M. Stevenson, Robert Card a transformé l'entreprise, implanté un programme d'éthique qui est devenu une référence et renouvelé l'équipe de direction. L'organisation veut «maintenant mettre l'accent sur l'efficacité opérationnelle» avec l'embauche de Neil Bruce. Quant à Kentz, Lawrence Stevenson souligne qu'elle a permis à SNC d'obtenir des contrats importants au Moyen-Orient.

Quoi qu'il en soit, Robert Card n'aura pas eu la partie facile depuis trois ans. Certes, il a réussi à obtenir le certificat d'intégrité du Québec. Et à Ottawa, on a réduit de 10 à 5 ans le bannissement aux contrats fédéraux des entreprises qui, comme SNC, pourraient être reconnues coupables au criminel. De plus, SNC-Lavalin a décroché le gigantesque contrat du pont Champlain.

Il reste que la firme de génie-conseil a toujours des accusations criminelles qui pèsent sur elle. Et que durant le règne de trois ans de Robert Card, l'action de SNC-Lavalin a grimpé pour finalement retomber exactement au même niveau qu'à son arrivée, à quelque 38$. Vite, l'excellentissime.