Votre famille est au bord de la faillite. Elle vient de manquer son dernier paiement hypothécaire, et les rations de riz sont comptées. Pour survivre, elle réclame vite de l'argent aux familles voisines du village, de qui elle exige aussi d'effacer une partie des emprunts précédents.

Les voisins sont perplexes, presque insultés. Ils sont prêts à avancer des fonds, encore une fois, mais pas question de le faire sans poser une série de conditions. Entre autres, ils veulent mettre le nez dans vos affaires, qui sont gérées tout croche depuis longtemps.

En réaction, votre famille se braque. Les jeunes en ont assez d'être limités à un bol de riz par jour - en fait, c'est deux bols avec celui obtenu au noir. Après un vote, les membres de votre conseil de famille refusent les conditions imposées par les voisins. Avec ce refus ferme, ils sont confiants que les voisins vont avancer l'argent. Or, rien n'est moins sûr.

Les Grecs - vous aurez deviné l'analogie - ont un pouvoir de négociation de plus en plus limité. D'abord, il va de soi que quiconque frappe à la porte de son voisin pour lui quêter de l'argent n'a pas le gros bout du bâton.

Lors des dernières négociations, les problèmes de la Grèce pouvaient faire tache d'huile sur le reste de l'Europe, même si elle ne représente que 2% de l'économie. Entre autres, les banques privées des autres pays pouvaient en souffrir. De plus, les prêteurs pouvaient devenir frileux envers le même genre de pays endettés, comme l'Italie ou l'Espagne, et exiger de forts taux d'intérêt.

Or, cette fois, il ne devrait pas y avoir ces effets de contagion. Aujourd'hui, les banques privées ne détiennent plus qu'une très petite part des 317 milliards d'euros que doit le gouvernement grec (177% du produit intérieur brut - PIB).

Les marchés sont d'ailleurs moins nerveux qu'en 2010. Hier, au lendemain du référendum, les taux d'intérêt des obligations de 10 ans en Italie et en Espagne ont grimpé de seulement 0,10 à 0,15 point de pourcentage, fait remarquer l'expert Marc Lavoie, de la firme de gestion de portefeuille Hexavest.

Autre raison expliquant le pouvoir de négociation limité de la Grèce: l'argent emprunté viendrait de voisins qui connaissent eux aussi certaines difficultés économiques.

Les Français, les Italiens et les Espagnols ont respectivement prêté 42 milliards, 37 milliards et 25 milliards d'euros à la Grèce (l'Allemagne est à 57 milliards). Autrement dit, ces pays ont déjà avancé l'équivalent de 510 à 690 euros par citoyen (2354 euros par famille), selon les calculs de TF1 News. Et leur argent est précieusement compté.

À cette série de facteurs s'ajoute l'affreux historique des Grecs en matière de gestion de fonds. Pendant huit ans, le gouvernement grec a littéralement maquillé ses états financiers. En 2009, peu après l'éclatement de la crise financière, le gouvernement a dû mettre cartes sur table et déclarer un déficit quatre fois plus grand qu'annoncé, à 12,7% du PIB (au Québec, il était alors d'environ 1% du PIB).

L'amélioration de l'administration publique était d'ailleurs un enjeu important de la proposition des prêteurs soumise au référendum. Les créanciers demandaient aux Grecs de créer une agence indépendante de perception des impôts, de criminaliser la fraude fiscale, d'éradiquer la corruption politique, de combattre le travail au noir et d'imposer adéquatement les travailleurs autonomes, les agriculteurs et le capital.

Parmi les autres mesures, il y avait aussi l'abolition des subventions au mazout, la hausse à 23% de la taxe de vente sur certains produits et la privatisation de certains ports et aéroports.

Un des points de discorde majeurs avait trait aux régimes de retraite, pour lesquels une cagnotte n'a pas été accumulée comme au Canada. Le plan des créanciers exigeait que la retraite soit repoussée à 67 ans dès 2022, alors que le dernier mot d'Alexis Tsipras parlait de 2025 (il exigeait 2036 au départ). Il était aussi question de couper, dès 2019, le boni de retraite (EKAS) accordé aux plus pauvres (Tsipras parlait de 2020).

Face à cette impasse, il devient de plus en plus probable que la Grèce quitte la zone euro, ce qui pourrait lui être bénéfique à moyen terme.

D'une part, la monnaie européenne est trop élevée pour l'économie grecque. En effet, quand une économie vacille, sa monnaie recule, comme c'est actuellement le cas au Canada. Cette baisse de la valeur de la monnaie a pour effet d'aider les exportateurs et, ultimement, de relancer l'économie. Or, la Grèce ne peut profiter de cet effet avec l'euro, aligné sur l'économie musclée de l'Allemagne.

D'autre part, l'Europe n'a pas de système de redistribution de la richesse entre les pays, comme c'est le cas d'autres régions à monnaie unique, dont le Canada, avec la péréquation, ou même les États-Unis.

Pour toutes ces raisons, les décideurs devraient réfléchir au plan B, soit la sortie de la Grèce de la zone euro. À court terme, la transition sera certes très difficile. La valeur des prêts européens pourrait s'effondrer, et les Grecs pourraient voir leur niveau de vie encore reculer substantiellement. L'avenir devrait devenir plus radieux à moyen terme.