Voici la curieuse histoire d'un patient qui s'est fait assigner un médecin de famille... sans qu'il en sache rien. Et qui laisse songeur sur le nombre de nouveaux patients qui se sont réellement trouvé un médecin de famille dans le contexte de l'ancienne «prime Bolduc».

L'information m'a été transmise dans la foulée de ma récente chronique sur la nouvelle prime qui sera accordée aux médecins acceptant d'inscrire des patients orphelins. Des lecteurs se demandent si cette prime, dont la définition est semblable à l'ancienne, permettra d'atteindre l'objectif de Gaétan Barrette.

Rappelons que l'entente avec les médecins de famille vise à faire passer de 68 à 85% la proportion de la population qui aura un médecin de famille d'ici la fin de 2017, notamment grâce à la nouvelle prime. De plus, les médecins de famille devront s'organiser pour pouvoir rencontrer leurs patients rapidement, selon l'entente.

Les modalités de la prime et la mesure précise des résultats sont à venir. En vertu de la vieille «prime Bolduc», les médecins touchent de 100 à 209$, selon le cas, pour l'inscription d'un nouveau patient jusque-là inscrit au guichet d'accès. Cette prime aurait fait augmenter de 800 000 le nombre de nouveaux patients inscrits à un médecin de famille depuis 2011.

Or, voici l'histoire d'un patient de 63 ans qui laisse perplexe. L'homme s'est vu octroyer un médecin de famille... à son insu. Pire: sa conjointe a vécu la même situation, en parallèle, avec un autre médecin.

Tous deux ont appris l'étonnante nouvelle, chacun de leur côté, en tentant de s'inscrire au guichet du CLSC pour se voir assigner, justement, un médecin de famille. Quelques jours après leur demande d'inscription, le CLSC refusait, prétextant qu'ils avaient déjà, ô surprise, un médecin de famille. En guise de preuve, on leur a donné le nom du médecin - un inconnu pour eux - sans leur indiquer ses coordonnées.

Le patient de 63 ans, qui a une santé moyenne, a donc dû faire lui-même une recherche pour savoir où pouvait bien se trouver ce fameux médecin. Il a alors découvert qu'il s'agissait du médecin qui l'avait reçu pendant quelques minutes à une clinique sans rendez-vous... cinq ans plus tôt.

«J'avais attendu cinq heures pour voir un médecin dans une clinique du quartier pour diagnostiquer une grippe. Quand il m'a vu, le médecin a décidé qu'il s'agissait d'un virus et ne m'a donc pas prescrit d'antibiotiques. La consultation a duré à peine cinq minutes», explique-t-il.

Étonné mais se réjouissant somme toute de connaître l'identité de son médecin de famille, il a tenté de prendre rendez-vous avec lui. Nouvelle surprise: la secrétaire a refusé, affirmant que le médecin en question n'était nullement son médecin de famille! «On m'a dit qu'il s'agissait d'une erreur de l'agent de facturation du médecin», dit-il.

Retour au CLSC, nouvelle demande de médecin de famille, nouvelle attente, qui s'est finalement soldée par un rendez-vous avec un nouveau médecin, deux mois plus tard. Sa conjointe avait elle aussi été inscrite à un médecin de famille à son insu, mais dans son cas, le médecin a accepté de la recevoir.

Rassurez-vous, l'homme et sa femme sont fort crédibles: tous deux sont avocats. S'ils avaient signé un document leur attribuant un médecin de famille, il y a quelques années, comme ce fut mon cas avec mon propre médecin, ils le sauraient.

Cette anecdote m'amène à poser trois séries de questions. Primo: sont-ils nombreux, parmi les 800 000 patients, à s'être vu assigner un médecin de famille à leur insu? Autrement dit, la proportion de la population qui a actuellement un médecin de famille est-elle réellement de 68%, ou est-elle plus basse? Et par conséquent, sera-t-il possible d'atteindre la cible de 85% si le seuil actuel est de moins de 68%?

Secundo: les agents de facturation des médecins sont-ils nombreux à avoir facturé la prime de 100 à 209$ à la Régie d'assurance maladie du Québec (RAMQ) sans qu'il y ait véritable inscription?

Tertio: les médecins qui ont reçu la prime sans véritable inscription ont-ils remboursé l'argent à la RAMQ? Sinon, prévoient-ils le faire? De son côté, la RAMQ a-t-elle réclamé les sommes aux médecins fautifs ou prévoit-elle le faire?