Le Québec est-il aussi endetté qu'on le dit? La question est cruciale, car notre niveau d'endettement public sert à justifier, en bonne partie, les douloureuses compressions en santé et en éducation.

À ce sujet, j'ai de bonnes et de mauvaises nouvelles. Mais surtout, avant d'entrer dans le vif du sujet, je vous annonce que de toutes récentes données viennent changer considérablement les comparaisons internationales, à l'avantage du Canada et du Québec.

Depuis plusieurs années, ces comparaisons se raffinent, mais un point important préoccupe les économistes: la dette comparée exclut les engagements des gouvernements pour la retraite de leurs employés.

Pendant qu'ici, nos gouvernements s'échinent à inscrire dans la dette leurs obligations envers la retraite de leurs employés, des pays européens comme la France et la Belgique en font fi. Là-bas, aucune caisse n'est constituée, alors qu'ici, les Québécois financent la caisse des employés du secteur public (notamment le RREGOP) à même le budget annuel de l'État.

Évidemment, en excluant ces engagements pour la retraite, les comparaisons embellissent le portrait des pays européens. Or, cette période sera bientôt révolue, si l'on se fie à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui compile les données. Dès 2017, l'OCDE s'attend à ce que tous les pays de l'Union européenne aient incorporé ces engagements de retraite dans leurs dettes publiques.

Les lecteurs de La Presse n'auront pas à attendre jusque-là. Le plus récent budget fédéral a fait un recensement des estimations des actuaires à ce sujet pour quatre des pays du G7, en plus du Canada. Et les conclusions sont renversantes.

Grâce aux travaux du ministère fédéral des Finances, il est possible d'ajouter à la dette ce que les gouvernements doivent à leurs employés ou, plus précisément, la portion qui n'a pas été mise de côté pour assumer l'entièreté des retraites (1).

Voyons voir. Actuellement, c'est-à-dire sans les retraites, l'OCDE estime que le Canada a une dette brute équivalant à 96% de ses revenus annuels (96% du produit intérieur brut, ou PIB). Cette dette, qui englobe celle des provinces et des villes, place le Canada au milieu des 32 pays recensés, mais sous la moyenne de 110%. Le Royaume-Uni est aussi à 96%, tandis que les États-Unis et la France sont à 111%. Bref, les principaux pays sont assez proches.

Le Québec n'étant pas un pays, il n'est pas listé. J'ai donc refait tous les calculs pour le Québec, minutieusement, en parlant avec les économistes responsables de l'OCDE et de Statistique Canada, entre autres.

La dette des municipalités a ainsi été ajoutée à la dette du Québec, comme la part de la dette fédérale, en fonction de notre poids dans le Canada. Tous les chiffres comparés sont pour 2012.

Résultat? La dette brute du Québec équivaut à 117% de notre PIB. Ce niveau d'endettement nous situe au 7e rang mondial, derrière l'Italie (136%) et la Grèce (166%), entre autres. La Suède est à 45% et la Finlande, à 63%.

Sur cette base, la situation québécoise est préoccupante. Maintenant, qu'arrive-t-il quand on ajoute la portion non accumulée des retraites aux pays dont le fédéral a publié les estimations?

Pour le Canada et les États-Unis, la hausse est modeste, puisque des caisses ont été constituées. La dette brute passerait de 96% à 109% au Canada. Pour les autres, attachez vos tuques: la dette brute passerait de 96% à 154% au Royaume-Uni et de 111% à 180% en France! Pas étonnant que les agences de crédit soient frileuses avec la France, qui a perdu sa cote AAA en 2013. Si j'étais citoyen français, je serais très inquiet.

Le Québec? Sur cette base, notre dette brute publique passerait à 136% du PIB, un niveau semblable à celui de l'Allemagne (131%). Notre endettement relatif demeurerait élevé, mais la situation devient moins critique.

Ce n'est pas tout. L'OCDE compare aussi l'endettement des pays avec un autre critère, soit la dette nette, c'est-à-dire la dette brute dont on a retranché les actifs. Au Québec, par exemple, on compte parmi ces actifs les fonds de la Régie des rentes du Québec, gérée par la Caisse de dépôt et placement, de même que la valeur d'Hydro-Québec pour le gouvernement.

En fonction de ce critère, le Canada se classe très bien. La dette nette de toutes les administrations publiques du Canada tombe à environ 57% du PIB, même en incluant les retraites. Ce niveau d'endettement est beaucoup moindre que celui du Royaume-Uni (120%) ou de la France (137%). Les États-Unis sont à 105%.

Pour le Québec, bonne nouvelle: notre endettement net comparable serait à 71% du PIB en tenant compte des retraites. Autrement dit, notre situation est bien plus enviable que la plupart des pays européens, à l'exclusion des pays scandinaves (la Suède a un surplus net de 26% actuellement et la Finlande, de 51%!).

Sachant cela, le gouvernement doit-il baisser les bras sur les compressions budgétaires? Malheureusement non. Pourquoi? Parce que ce n'est pas la dette nette qui prive nos écoles et nos hôpitaux de fonds, mais la dette brute.

En effet, les intérêts annuels à payer sont calculés sur la dette brute. Et à ce chapitre, le Québec conserve un endettement plutôt élevé et des paiements d'intérêt imposants. À eux seuls, ces paiements équivalent aux budgets de 11 ministères. Il reste que ce nouveau portrait de l'endettement permet de relativiser notre situation et d'envisager l'avenir avec un brin d'optimisme.

(1) Ce manque à gagner s'appelle les obligations non provisionnées des régimes de retraite des employés du secteur public.

Les chercheurs ont sous-estimé notre dette

Depuis quelques années, les chercheurs ont sous-estimé de façon importante la dette brute du Québec dans les comparaisons internationales. Voici pourquoi.

D'abord, le constat. L'Institut de recherche et d'informations socio-économiques (IRIS) obtient une dette brute de 95% du PIB pour le Québec, tandis que HEC Montréal arrive à 105%. Pour ma part, j'obtiens 117%. Il s'agit de la dette hypothétique d'un Québec indépendant, qui inclut la part fédérale.

Essentiellement, trois raisons expliquent ces grandes différences: la méthode comptable, la source des données et l'estimation de la part fédérale attribuable au Québec. Cette conclusion inévitable a été tirée après avoir discuté méthodologie avec les économistes de Statistique Canada, de l'OCDE et du FMI, entre autres.

Pour commencer, réglons le facteur le plus simple: la part fédérale. HEC Montréal attribue au Québec une part de la dette fédérale au prorata de notre population dans le Canada, soit 23,6%. De son côté, l'IRIS calcule avec notre part du PIB canadien, soit 19,5%.

Le choix de HEC a tendance à surestimer notre endettement, en quelque sorte, et celui de l'IRIS, à le sous-estimer. Ce choix explique dans une large mesure l'écart entre les deux. Pour contourner ce problème, j'ai pris la proportion moyenne (21,6%) entre la population et le PIB.

Malgré tout, j'obtiens 117%, soit davantage que les deux autres. Pourquoi?

Valeur marchande ou comptable?

Depuis quelques années, faut-il savoir, notre endettement est comparé aux chiffres compilés par l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économique). Or, l'OCDE publie la dette en valeur marchande, tandis que HEC et IRIS la mesurent en valeur comptable, essentiellement.

Comme la dette calculée sur une base comptable est plus basse, la comparaison avec les chiffres de l'OCDE nous avantage nettement. Cette différence technique a même échappé au ministère des Finances du Québec dans sa comparaison de mars 2010.

Grosso modo, la valeur comptable des titres de dette est la valeur nominale au moment de leur émission, au fil des années, nous indique Statistique Canada. En comparaison, la valeur marchande de la dette est la valeur que le marché lui accorde aujourd'hui. Avec la baisse des taux d'intérêt, la valeur marchande de la dette a surpassé significativement sa valeur comptable.

Quel est l'impact? En 2012, l'écart entre la valeur comptable et marchande de la dette brute était de près de 8% du PIB pour le Canada comme pour le Québec. Cette différence explique la moitié de l'écart de ma dette de 117%, en valeur marchande, avec celle de HEC, en valeur comptable.

On pourrait contester cette façon de mesurer la dette, mais un fait demeure: la comparaison avec les chiffres de l'OCDE est inadéquate. Il aurait mieux fallu comparer avec les chiffres du Fonds monétaire international (FMI), publiés selon la valeur comptable. Les dettes de HEC et de l'IRIS seraient les mêmes, mais celles des autres pays telles qu'estimées par le FMI chuteraient.

Source des données

Maintenant, qu'est-ce qui explique l'autre moitié de l'écart? La source des données.

Pour faire ses estimations de la dette canadienne, l'OCDE utilise une base de données de Statistique Canada. De leur côté, l'IRIS et HEC s'appuient sur le budget du Québec, les comptes publics du Québec et les Tableaux de référence financière de Finance Canada.

Or, les chiffres d'endettement de Statistique Canada utilisés par l'OCDE sont nettement plus importants. Par exemple, pour Statistique Canada, la dette fédérale pertinente est de 728 milliards en 2012, contre 667 milliards dans les tableaux de Finance Canada. Cet écart de 61 milliards est l'équivalent de 3,3% du PIB (en valeur comptable).

Même phénomène pour la dette du gouvernement du Québec et des municipalités, dont la différence avoisine les 4% du PIB. Il n'a pas été possible de détailler toutes les raisons qui expliquent ces écarts techniques. La différence vient entre autres de l'inclusion ou non des passifs à court terme et des emprunts par anticipation.

Encore une fois, on peut contester la manière d'estimer la dette brute. Aucune méthode n'est parfaite. Il reste qu'au bout du compte, il faut se rapprocher de la méthode utilisée par l'OCDE pour les comparaisons internationales. Or, ce faisant, notre dette brute atteint 117% du PIB, ce qui nous met au 7e rang dans le monde.