Avertissement: cette discussion franche pourrait ne pas convenir à certains. Bien que fictive, elle est basée sur de vrais chiffres et de vrais enjeux. La présence de modérateurs est conseillée.

- Oui, allô, le ministre Pierre Moreau? C'est Suzanne Roy, de l'Union des municipalités du Québec, au téléphone. Ça va bien?

- Bonjour, oui. Vous?

- Pas pire. Écoute, je ne passerai pas par quatre chemins: vous nous avez coupé 300 millions l'automne dernier, mais là, vraiment, les villes ont besoin de plus d'argent du gouvernement.

- Je veux bien, Suzanne, mais vos dépenses explosent. Avez-vous lu l'étude de HEC? Plus de deux fois l'inflation. Autant que la santé. Comment peut-on donner plus à des villes si dépensières? C'est comme jeter de l'argent par les fenêtres.

- Justement, on a fait une étude, nous aussi. Et vous savez quoi? Depuis 10 ans, nos dépenses augmentent vite, c'est vrai, mais pas plus qu'ailleurs. Ici, c'est 5,5% par année contre 5,1% en Ontario, 5,4% en Colombie-Britannique et 8,7% en Alberta.

- Ça me fait une belle jambe.

- Ce n'est pas tout: 60% de la hausse s'explique par la croissance de la population et par l'inflation. Et pour les 40% qui restent, c'est principalement le gouvernement du Québec qui nous a pelleté des responsabilités: usine d'eau potable, transport, police, etc. On est loin du gaspillage.

- Vous ne me ferez pas pleurer, Suzanne. La rémunération moyenne des employés municipaux dépasse 90 000$ par année à Québec et 115 000$ à Montréal. C'est fou! Globalement, vos employés municipaux ont un écart de rémunération de 38% avec nos employés gouvernementaux, et c'est ce qui explique surtout la croissance de vos dépenses. Vous devez mieux gérer vos affaires.

- Je suis bien d'accord avec votre constat sur la rémunération, mais on n'a pas de rapport de force pour négocier avec les syndicats. Le droit de lock-out est inexistant, et les procédures d'arbitrage favorisent les syndicats. Mettez-vous à notre place: quand les cols bleus tombent en grève et décident de ne pas collecter les poubelles l'été ou ramasser la neige l'hiver, les citoyens hurlent.

- Attendez un peu: on vous a quand même donné la loi 3, l'automne dernier, pour vous permettre de renégocier vos régimes de retraite...

- Tout à fait, merci. Mais la retraite, ce n'est qu'un seul morceau du casse-tête, dont les effets se feront sentir seulement en 2017, après des négociations difficiles. L'autre morceau, ce sont les salaires, et l'écart est de 18%. On a besoin d'autres outils.

- Parlons-en, tiens. Malgré les salaires juteux de ses employés, Denis Coderre leur offre 2 à 2,5% d'augmentation par année pour la négociation en cours, alors que l'inflation sera de 1,4% en 2015. Nous autres, à Québec, c'est le gel. On se comprend-tu?

- Franchement...

- En plus, Suzanne, les villes ont des surplus qui font rêver. Depuis six ans, les excédents ont augmenté de 74%, à environ 3766$ par habitant. Pigez dans le pot.

- Hey là, un instant, Pierre, un instant! D'abord, les deux tiers de ces excédents sont déjà réservés pour des projets d'infrastructures. Ensuite, les surplus, c'est essentiel à une bonne gestion. Ne faites-vous pas la même chose avec le Fonds des générations? Ne s'agit-il pas d'un surplus, en réalité? Nous voulons cesser de recourir toujours à l'endettement. En moyenne, cette dette est de 2450$ par habitant dans les villes du Québec, contre 1300$ en Ontario et 650$ en Colombie-Britannique. Alors, avant de nous demander...

- Fâche-toi pas, Suzanne. Dis-moi, votre étude, compare-t-elle les excédents ailleurs?

- Justement. Ici, les villes ont un excédent moyen équivalent à 24% des dépenses, contre 47% en Ontario. Le double.

- Je vois.

- Bref, on veut plus d'argent. Entre autres, on veut que le gouvernement paie des taxes foncières équitables aux villes sur ses immeubles, comme les écoles. Vous avez réduit la part à payer de 70 millions dans le pacte de 300 millions. Ensuite, on veut payer moins de TVQ. Est-ce logique de taxer les citoyens pour payer la TVQ?

- On verra. Philippe Couillard l'a dit: on veut être des partenaires avec les villes. Et on promet de ne pas transférer de nouvelles responsabilités sans financement additionnel. Mais en même temps, il faut que les villes fassent des gains de productivité. J'attends toujours que l'UMQ incite ses membres à entrer dans le groupe de villes canadiennes qui comparent leurs coûts en détail: salaires des pompiers et policiers, horaires de travail, coûts d'emprunt des livres à la bibliothèque, etc. De quoi avez-vous peur?

- On en reparlera. Faut que je te quitte, j'ai un autre rendez-vous.

- O.K. Merci pour la franche discussion.