Après réflexion, j'ai décidé de vous en parler. De vous décrire cette cause de divorce rocambolesque d'un couple multimillionnaire de la région de Montréal, où il est question de Rolls-Royce d'époque, de boucles d'oreille à 58 000$ et d'espionnage illégal.

Normalement, les affaires conjugales ne sont pas d'intérêt public. Au Québec, d'ailleurs, la loi nous interdit d'identifier les parties à un divorce, entre autres pour protéger les enfants.

Sauf que les conséquences de cette cause la font déborder de sa sphère privée. D'abord, il s'agit d'un des plus imposants litiges familiaux jamais entendus au palais de justice de Montréal. En tout, 12 avocats et 9 juges ont été impliqués dans le dossier, qui fait environ trois pieds d'épaisseur. En quelques mois seulement, juges et greffiers ont dû rendre plus de 30 décisions, alors que nos tribunaux sont engorgés. Sans compter que la police et les pompiers ont été interpellés.

Ensuite, la cause implique un couple européen tout récemment reçu immigrant au Canada. Même le procureur général du Québec a dû intervenir, car le mari a contesté la compétence des tribunaux du Québec pour le divorce.

Enfin, la cause pourrait faire avorter l'acquisition d'un des plus luxueux domaines de la région de Montréal au coeur de cette histoire, érigé sur un territoire agricole.

La genèse de l'histoire remonte à juillet 2013, donc lorsque le couple et ses deux enfants déménagent à Montréal après avoir obtenu le statut d'immigrant-investisseur. La famille et ses domestiques s'installent dans une magnifique propriété sise au bord de l'eau, acquise quelques mois plus tôt avec d'autres maisons.

Motif apparent de leur venue: «[Nous] avions choisi d'habiter le Québec puisque la situation en Europe se dégradait rapidement; que nos enfants sont arabes et que je suis d'origine juive et que cela pouvait causer des problèmes d'un côté ou de l'autre», explique Monsieur.

De plus, «il y a une grande insécurité pour les gens fortunés, alors que les vols, les attaques et les demandes de rançon se sont multipliés dans les dernières années».

L'harmonie du couple éclate dès l'été suivant, lors de vacances dans leur domaine secondaire en Belgique. Madame annonce à Monsieur qu'elle réclame le divorce. En réaction, Monsieur fait littéralement sceller la résidence belge par des officiers de justice pendant que Madame y est encore, ce qui la contraint à demeurer à l'intérieur pendant plusieurs heures avec ses enfants.

Pour protéger son patrimoine, Madame obtient le 15 août une saisie avant jugement de biens valant plusieurs millions de dollars à Montréal. Rolls-Royce 1967, Cadillac Escalade, bateaux, boucles d'oreille à 58 000$, montre à 179 000$, panoplie de ceintures Crocodile de quelque 70 000$, collection de sacs à main valant plus de 2 millions, tout y passe.

Madame veut également récupérer ses papiers officiels, dont l'un de ses trois passeports, octroyé par la Fédération Saint-Christophe-et-Niévès, un paradis fiscal des Antilles. À son retour à Montréal, elle doit vivre avec ses enfants au Ritz Carlton, puis à l'hôtel Le St-James, n'ayant plus accès à la demeure familiale.

En quelques semaines, le tribunal rend plusieurs décisions. Il refuse la saisie, désigne un gardien des biens, tranche la garde des enfants, reconnaît la compétence des tribunaux québécois et permet à Madame de vivre au domaine une semaine sur deux, notamment.

Au fil des démarches en cour, on apprend que Monsieur et Madame ont embauché chacun une agence de sécurité pour faire surveiller leurs biens et espionner leur conjoint. La fortune de Monsieur excède les 135 millions, principalement à l'étranger, et celle de Madame atteint 42 millions.

Les enfants se mettent de la partie, déposant des témoignages écrits horribles au sujet de leur père, que ce dernier attribue à l'influence de leur mère.

Le 20 février, coup de théâtre: le garde du corps de Monsieur vire sa veste. Il se rend de son plein gré chez les avocats de Madame pour dénoncer les atrocités de Monsieur, notamment la façon «complètement inappropriée» dont il traite les enfants et les utilise.

Selon son témoignage, Monsieur est déséquilibré et demande la garde des enfants uniquement pour conserver l'usage du domaine. Pour parvenir à ses fins, il enregistre secrètement ses enfants grâce à des dispositifs d'écoute dans des stylos, des porte-clés, des thermostats, des prises de courant, que le garde du corps lui a procurés. Monsieur cherche à se fabriquer «de la fausse preuve de sa prétendue gentillesse envers les enfants».

Ce n'est pas tout. Il met les appartements de Madame sur écoute et fait copier ses factures, son récent testament, des courriels et des documents numériques. L'enregistrement de tierces personnes sans leur consentement, entre autres, est une infraction criminelle.

«Il me demandait d'écouter ces enregistrements, dont ceux entre la mère et ses avocats, dit le garde du corps. Il m'obligeait à les écouter afin de rechercher des propos qui pouvaient le servir dans sa cause.»

Toujours selon le garde du corps, Monsieur est souvent à l'extérieur du pays. Or, des séjours trop prolongés à l'étranger pourraient compromettre l'acquisition du domaine réalisée en 2013.

En effet, puisque la propriété est située en territoire agricole, la transaction est conditionnelle à ce que chacun des deux membres du couple demeure au pays au moins 12 mois durant les 24 premiers mois de résidence. À défaut de se conformer à cette condition, l'acte de vente pourrait être annulé et le domaine, retourné aux anciens propriétaires.

Cette affaire suivra son cours sans qu'il soit possible d'identifier les parties. Elle restera une illustration éloquente du mélange explosif que constituent l'amour et l'argent et des ravages que ce cocktail peut causer sur le bien-être des enfants.