Mine de rien, le budget conservateur contient un passage fort audacieux. Vers la fin du document des 584 pages, le ministère des Finances explique son intention de fermer la porte à quatre échappatoires fiscales, dont l'une profite surtout aux banques.

Les échappatoires dont il est question sont loin d'être simples, comme c'est souvent le cas en matière fiscale. Néanmoins, puisque les sommes en jeu sont très importantes et que l'une des trois principales banques qui en profiteraient est la Banque Nationale, selon The Globe and Mail, permettez-moi de vous faire comprendre simplement en quoi consiste l'ingéniosité fiscale.

Dans le budget, Ottawa dit vouloir récupérer 1,2 milliard de dollars sur quatre ans en bouchant les quatre échappatoires, dont 365 millions l'an prochain. Il n'a pas été possible de savoir quelle part de cette somme serait récupérée avec la fin de l'échappatoire impliquant les institutions financières. Même avec 24 heures de délai, le ministère fédéral des Finances n'a pas été en mesure de me répondre. Toutefois, il appert qu'il s'agirait d'une part appréciable du total.

L'avantage fiscal décrié concerne des transactions de troc d'actions que les banques réalisent avec des contribuables qui ne paient pas d'impôts, comme les caisses de retraite ou des sociétés non résidentes. Le fédéral appelle ces transactions des «arrangements de capitaux propres synthétiques», connues dans le milieu financier comme des opérations «Delta One».

De manière générale, voici comment fonctionne l'échappatoire. Une banque achète d'une caisse de retraite un panier de titres boursiers qui offrent de bons dividendes, procurant par exemple un rendement de 4%. En échange, la banque cède à la caisse un instrument financier qui calque les rendements des mêmes titres à dividendes. Cet instrument financier est un produit dérivé appelé swap.

La particularité de l'affaire, c'est la différence de traitement fiscal entre, d'une part, les dividendes que la banque reçoit et, d'autre part, les paiements qu'elle fait à la caisse de retraite.

Les dividendes reçus par la banque sont exempts d'impôt, comme c'est généralement le cas pour toutes les entreprises. En revanche, les paiements faits à la caisse de retraite sont considérés comme déductibles et viennent donc réduire l'impôt à payer. En somme, par ce jeu de produits dérivés, les banques économisent des sommes d'impôts appréciables. Par exemple, sur 1000$ de dividendes reçus, l'avantage fiscal pourrait être équivalent au taux d'imposition d'environ 27%, soit 270$.

Les caisses de retraite ne sont pas directement visées par le fédéral, puisqu'elles ne paient pas d'impôts de toute façon, en vertu de la loi. Néanmoins, ces exercices de trocs d'actions avec les banques sont pour elles une source de financement, car ils leur permettent de rendre liquides certains paniers de titres à dividende et de réutiliser les fonds à d'autres fins, souvent à court terme.

La fermeture de l'échappatoire pourrait donc les priver d'une source de financement, puisque les banques n'y trouveraient plus leur compte.

La Banque Nationale et la Caisse de dépôt

La Banque Nationale n'a pas voulu faire de commentaires sur l'offensive fédérale. Elle indique néanmoins que pour elle, l'impact de la fin de l'échappatoire représenterait moins de 1% de son bénéfice annuel dilué, ce qui signifierait moins de 15 millions de dollars. Le porte-parole Claude Breton précise également qu'aucune de ces transactions faites par la Banque n'a eu comme contrepartie la Caisse de dépôt et placement du Québec.

À la Caisse de dépôt, le genre de trocs d'actions visé par l'offensive fédérale s'est élevé à 17,1 milliards de dollars l'an dernier, selon le rapport annuel. Ce montant vaut toutefois pour l'ensemble des activités mondiales de la Caisse, et non seulement pour les activités canadiennes visées par le fisc.

Le troc d'actions est une source de financement significative pour la Caisse, mais l'institution n'en est pas dépendante, nous dit le vice-président, trésorerie, Yassir Berbiche. «Nous allons suivre l'affaire de près», dit-il.

La Loi de l'impôt sur le revenu permet déjà au gouvernement de contester l'échappatoire utilisée avec le troc d'actions. Toutefois, comme les «contestations peuvent être à la fois fastidieuses et dispendieuses», le gouvernement annoncera des mesures plus précises pour boucher l'échappatoire.

Essentiellement, le gouvernement souhaite que dans un troc d'actions tel que décrit, le dividende reçu par la banque ne soit plus exempté d'impôt. Cette disposition rendrait l'échappatoire inintéressante. Le gouvernement convient toutefois qu'une proposition de rechange pourrait être adoptée. Il invite les parties à lui soumettre des commentaires d'ici le 31 août. Quoi qu'il en soit, l'échappatoire sera bouchée à partir d'octobre.

Il n'a pas été possible de savoir si le ministère des Finances du Québec a l'intention d'imiter son homologue fédéral. Néanmoins, c'est généralement le cas pour ce genre d'astuce fiscale.