«Les déficits et l'endettement compromettent notre avenir et, encore davantage, celui de nos enfants et de nos petits-enfants. Il faut régler le problème [...] avec confiance et fermeté.»

Ce passage du discours du budget n'a pas été prononcé par Philippe Couillard, Martin Coiteux ou Carlos Leitao, mais plutôt par l'ex-ministre péquiste des Finances, Jean Campeau... en mai 1995.

Le budget Parizeau-Campeau de 1995 fut le premier de trois douloureux exercices financiers pour retrouver l'équilibre budgétaire. Et n'en déplaise aux manifestants, les compressions de l'époque ont été plus sévères que celles d'aujourd'hui, même si, pourtant, le gouvernement d'alors n'avait rien d'une clique néo-libérale cherchant à détruire le modèle québécois.

Entre 1995 et 1998, faut-il savoir, le duo Parizeau-Campeau de la première année a été suivi par celui de Lucien Bouchard et Bernard Landry. Voyons voir comment se comparent les deux périodes, marquées chacune par trois années de restrictions.

Lorsque le PQ a pris le pouvoir, en 1994, l'année financière commencée sous les libéraux s'était soldée le 31 mars 1995 par des dépenses de programmes totalisant 35,5 milliards de dollars. Or, trois ans plus tard, le régime social-démocrate péquiste avait réduit ces dépenses de 3,5%. Le secteur de l'éducation et de l'enseignement supérieur avait été particulièrement touché, avec un recul de 5,1%.

Aujourd'hui, sous les libéraux, on ne parle pas de diminution des budgets, mais de progressions moindres. Ainsi, il est prévu que les dépenses augmenteront de 5,5% sur trois ans. Certes, il s'agit d'une croissance équivalant à 1,8% par année, soit tout juste l'inflation, mais on est loin du recul d'il y a 20 ans (- 1,2% par année).

Cela dit, diverses raisons expliquent pourquoi les compressions de l'époque n'avaient pas provoqué les affrontements d'aujourd'hui. Certaines sont admirables, d'autres indéfendables.

Cadeau à 30 000 fonctionnaires

D'abord, le charismatique Lucien Bouchard avait réussi à rassembler les principaux décideurs de la société québécoise, à gauche comme à droite, pour dégager un consensus sur la question. La fameuse Conférence de Québec avait poussé les Québécois à se «serrer les coudes», en toute solidarité. C'était quelques mois après le déchirant référendum sur la souveraineté...

Ensuite, le gouvernement péquiste avait réduit son principal poste de dépenses - la masse salariale - en incitant quelque 30 000 de ses vieux employés au sommet de l'échelle à quitter la fonction publique grâce à de généreuses indemnités de départ.

Ces départs massifs des employés d'expérience, c'est connu, ont eu des conséquences fâcheuses sur les services à la population et le recours au secteur privé par la suite. De plus, ils ont coûté 1,1 milliard de dollars, somme qui a été amortie sur 16 ans grâce aux surplus des régimes de retraite, une pratique critiquée par le vérificateur général.

Néanmoins, le cadeau de départ avait probablement étouffé la contestation syndicale, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui avec la proposition sur la table. Le gouvernement Couillard, rappelons-le, veut rapidement faire passer de 60 à 62 ans l'âge minimal de la retraite, ce qui soulève l'ire des syndicats. Il pourrait encore y avoir un exode, mais cette fois, il se ferait sans cadeau.

Créativité comptable

Autre élément important: le gouvernement de l'époque avait fait preuve d'une certaine créativité comptable pour réduire virtuellement ses dépenses, avait constaté le vérificateur général. Par exemple, le gouvernement avait transféré certaines dépenses dans des fonds spéciaux et étalé ces dépenses sur plusieurs années.

Selon certaines estimations, ces transferts pourraient expliquer 40% des réductions de dépenses sur trois ans de l'époque. Aujourd'hui, les états financiers du gouvernement sont plus conformes aux pratiques comptables reconnues et plus difficiles à maquiller.

Enfin, il faut constater que le budget de la Santé est devenu obèse depuis 20 ans avec les injections de fonds répétées et le vieillissement de la population. Ce phénomène exerce une énorme pression sur les autres missions de l'État.

Ainsi, la Santé accaparait 35% des dépenses de programmes il y a 20 ans comparativement à 49% aujourd'hui. Pendant ce temps, l'éducation est passée de 28% à 25% et les autres missions, de 36% à 25%. Certains secteurs ont passablement moins de gras qu'avant.

Malgré tout, les compressions des péquistes socio-démocrates de 1995 demeurent relativement plus importantes que celles des libéraux de 2015.

Quoi qu'il en soit, l'atteinte de l'équilibre budgétaire sera toujours un exercice très douloureux. La manière est contestable - où sont les solutions originales? -, et les employés touchés méritent toute notre compassion. Au bout du compte, cependant, l'équilibre budgétaire est un passage obligé pour nous redonner notre liberté d'action, qu'on soit à gauche ou à droite.

«Se dire social-démocrate sans avoir les moyens matériels de son discours peut vite tourner au concept creux et à l'incantation», affirmait d'ailleurs Bernard Landry dans son discours du budget de mai 1996.

[2016-2017 (en milliards) | Variation sur trois ans]

Éducation (2) : +17,2 | +3,4%

Santé et services sociaux : +33,5 | +7,6%

Autres : +17,0 | +2,3%

Total : +67,9 | +5,5%

[1997-1998 | Variation sur trois ans]

Éducation (2) : +10,0 | -5,1%

Santé et services sociaux : +12,7 | -3,3%

Autres : +12,9 | -2,2%

Total : +35,5 | -3,5%

1- Il s'agit des dépenses prévues pour les libéraux, mais réalisées pour les péquistes.

2- Ce poste comprend aussi les dépenses pour l'enseignement supérieur et la recherche.