Le gouvernement Couillard nous annoncera, dans son budget du 26 mars, que le Québec atteindra le déficit zéro au cours de la prochaine année. Fort bien.

Il faut toutefois se demander si le gouvernement parviendra à son objectif, compte tenu de la résistance qui se prépare et des impacts économiques des compressions. Et plus largement, peut-on se fier aux prévisions que font les gouvernements dans leurs budgets?

Au cours des cinq dernières années, une seule s'est soldée par un déficit pratiquement identique à ce qui avait été prévu. En mars 2012, le ministre des Finances d'alors, Raymond Bachand, avait promis un déficit de 1,5 milliard et, en fin de compte, l'année 2012-2013 s'est soldée par un déficit de 1,6 milliard livré par le péquiste Nicolas Marceau, élu entre-temps.

Pour les quatre autres années, l'écart entre la prévision et la réalité a été considérable, soit de 772 millions à 3,1 milliards. Le déficit s'est avéré moindre que prévu pour les trois premières années, sous des régimes libéraux, tandis que pour la quatrième, le déficit zéro promis par Nicolas Marceau a plutôt été de 3,1 milliards.

Ces écarts relativement importants donnent à penser qu'il n'est pas évident que le gouvernement Couillard atteindra effectivement sa cible. Au contraire, il est plausible que le solde budgétaire s'écarte en plus ou en moins de la prévision par plusieurs centaines de millions de dollars.

Les gouvernements sont en partie responsables de ces écarts, mais il faut savoir que les aléas de l'économie sont difficiles à prévoir et à traduire en chiffres.

Au fil des ans, tout de même, les méthodes du ministère des Finances du Québec se sont raffinées. Avant 1994, le gouvernement ne présentait pas les prévisions du secteur privé dans ses documents budgétaires, si bien que les journalistes ne pouvaient constater de visu si le parti au pouvoir avait une vision trop optimiste ou trop pessimiste de l'économie, avec ses effets sur l'équilibre budgétaire.

En 1994 et 1995, le budget s'est mis à présenter les prévisions du secteur privé, mais seulement pour le produit intérieur brut (PIB). Et à partir de mai 1996, sous le ministre des Finances Bernard Landry, le budget a ajouté les prévisions d'inflation du secteur privé.

Depuis, il est rapidement possible de vérifier si le gouvernement gonfle indûment ses revenus budgétaires avec une prévision de croissance économique trop optimiste, par exemple lors d'une année électorale. Aujourd'hui, on a même droit à une prévision sur cinq ans, comparée avec le privé.

Maintenant, dans les faits, les gouvernements successifs ont-ils fait des prévisions économiques réalistes au cours des dernières années? Ou s'écartent-ils de la norme, selon les circonstances?

Le Vérificateur général se prononce

Le Vérificateur général du Québec vient justement d'analyser cette question dans son rapport présenté en février. Réponse: depuis 13 ans, les prévisions du ministère des Finances sont très semblables à celles du secteur privé. En moyenne, les divers budgets ont prévu une croissance réelle du PIB de 2,1% par année contre une prévision de 2,2% pour le privé.

Il y a toutefois un hic. Le vérificateur a comparé ces prévisions avec ce qui s'est réellement produit, après coup. Or, les prévisions de croissance économique du Québec, tant du gouvernement que du privé, se sont avérées trop optimistes 8 fois sur 10. En moyenne, l'écart a été de 0,6 point, soit une prévision de 2,1%, comparativement à une croissance réelle de 1,5%.

Autrement dit, le ministère des Finances et le privé dressent un portrait généralement trop rose de l'économie du Québec, même si l'on ne peut les accuser de le faire volontairement ou dans un but sournois.

Ce constat nous amène à nous interroger sur la prévision de croissance des prochaines années. Encore une fois, la boule de cristal du Ministère dévoile des chiffres semblables à ceux du privé. Toutefois, la croissance moyenne du PIB réel au cours des 5 prochaines années est de 1,7%, ce qui est supérieur à la croissance des 12 dernières années (1,5%).

Les économistes du Ministère et du privé font cette prévision malgré le vieillissement de la population, qui devrait plutôt avoir pour effet de ralentir la croissance de l'économie (ce n'est à pas à 70 ans que l'on consomme le plus).

Bref, il est permis de s'interroger. Espérons tout de même que cette fois, les prévisionnistes ont bien astiqué leur boule de cristal, sans quoi l'atteinte du déficit zéro et son maintien par la suite pourrait être plus pénible que prévu.

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Année / Ministre / Déficit prévu / Déficit réalisé / Écart

2009-2010 / Monique Jérôme-Forget / 3,95 / 3,17 / -0,78

2010-2011 / Raymond Bachand / 4,50 / 3,15 / - / 1,35

2011-2012 / Raymond Bachand / 3,80 / 2,64 / - / 1,16

2012-2013 / Bachand-Marceau / 1,50 / 1,60 / 0,10

2013-2014 / Nicolas Marceau / 0,00 / 3,10 / 3,10

2014-2015 / (1) / Nicolas Marceau / 1,75 / n.d. / n.d.

2014-2015 / Carlos Leitao / 2,35 / n.d. / n.d.

2015-2016 / Carlos Leitao / 0,00 / n.d. / n.d.

* en milliards de dollars

(1) Le budget péquiste de mars 2014 n'a jamais été adopté

Source : budgets du Québec