Selon Gaétan Barrette, le système de facturation à l'acte des médecins fonctionne très bien au Québec. Pas question de le changer, a-t-il dit à l'émission de Benoit Dutrizac, lundi dernier.

Pourtant, toutes les commissions sur la santé au Québec depuis 40 ans ont suggéré de modifier ce système, qui paie 80% de la rémunération des médecins en fonction du volume d'actes dans une journée. La commission Castonguay-Nepveu (1970), la commission Rochon (1988) et la commission Clair (2000) vont toutes dans le même sens.

Au fil des années, le système s'est complexifié, si bien qu'aujourd'hui, les tarifs des actes changent selon le nombre de centimètres d'excision chirurgicale, l'âge des patients ou la région, par exemple. À un simple examen médical correspond une centaine de tarifs différents.

En 2009, dans un énième rapport, le Commissaire à la santé et au bien-être en venait aux mêmes conclusions que les autres commissions: pour améliorer les soins de première ligne et débloquer les urgences, il faut instaurer un mode de rémunération différent.

«Le caractère désuet fait consensus»

Le Commissaire à la santé n'est pas un organisme obscur. Il a été créé par le premier ministre Philippe Couillard lui-même, en 2005, lorsqu'il était ministre de la Santé. À l'époque, Philippe Couillard voulait un organisme indépendant capable d'évaluer la performance du système et de faire des recommandations. Or, la recommandation «centrale» du Commissaire pour les soins de première ligne est de changer le mode de rémunération à l'acte, dont «le caractère désuet fait consensus».

Alors, qu'est-ce qu'on attend pour bouger?

Selon ce rapport, il s'agit d'un «enjeu fondamental des transformations à apporter aux services de première ligne. [...] La rémunération à l'acte ne permet pas aux médecins d'être rémunérés pour des activités administratives, de gestion, de concertation [avec les autres professionnels de la santé] ou pour le suivi de leurs patients».

L'enjeu est si fondamental pour le Commissaire qu'une vaste recherche vient d'être lancée (septembre 2014) sur le sujet. L'objectif: évaluer l'impact des différents modes de rémunération des médecins sur l'efficacité et la qualité du système de santé et proposer des solutions transitoires pour effectuer des changements.

«Il y a de la résistance au changement. Malgré les efforts, c'est encore ici qu'il se fait le plus de rémunération à l'acte. Les pays performants ont changé pour adopter une rémunération mixte», nous explique le commissaire, Robert Salois.

Justement, vers quel modèle faudrait-il tendre, et pourquoi? La rémunération à l'acte des médecins de famille favorise la prestation d'un volume important de services, mais elle est inappropriée pour les maladies chroniques ou pour des cas lourds (problèmes complexes, de santé mentale, etc.). Elle ne favorise pas les suivis par téléphone ou par courriel.

Plusieurs patients ayant des maladies chroniques engorgent les urgences, alors qu'ils pourraient être suivis par une infirmière en clinique, en collaboration avec le médecin de famille. Or, avec la rémunération à l'acte, le médecin n'a pas intérêt à collaborer activement avec les autres professionnels puisqu'il n'est alors pas payé.

«Ces maladies chroniques ne sont pas propices à la rémunération à l'acte, car le suivi de patients ne se traduit pas en actes», explique Robert Salois.

Le rapport du Commissaire recommande qu'une portion de la rémunération soit «à capitation», c'est-à-dire selon un montant forfaitaire versé aux médecins en fonction du nombre de patients suivis et leurs caractéristiques. À Taber, en Alberta, où l'attente a disparu, ce modèle «à capitation» est accompagné d'une obligation de résultats: les médecins sont pénalisés si leurs patients vont ailleurs pour un service qu'ils auraient dû obtenir avec leur médecin de famille. Au Québec, le rapport suggère pour sa part un système de primes plutôt qu'une pénalité.

Le Commissaire recommande aussi d'inclure une «portion de salaires» dans la rémunération pour les activités de coordination et la gestion clinique. Enfin, le paiement à l'acte serait conservé pour «certaines activités de premier contact ou de prévention».

À Taber, le paiement à l'acte continue à être versé pour les accouchements, les services ambulatoires (chirurgie d'un jour, etc.) et les rendez-vous hors de certaines heures d'ouverture. Toutes les économies obtenues grâce à la collaboration entre les professionnels sont conservées par la clinique.

Alors, qu'est-ce qu'on attend pour bouger?

«Les syndicats de médecins sont de puissants agents de maintien du statu quo», constate Damien Contandriopoulos, professeur à l'Université de Montréal, qui étudie la rémunération des médecins depuis une douzaine d'années.

L'une des conditions primordiales au changement est la «grande concertation de l'ensemble des acteurs», dit le rapport, puisque l'équilibre entre les modes de rémunération doit tenir compte des aspects clinique, organisationnel et budgétaire.

Les parties doivent donc apprendre à mieux communiquer entre elles. Les syndicats doivent donc cesser de miser sur le court terme et constater que plusieurs de leurs membres veulent de vrais changements. Quant à Gaétan Barrette, il ne réglera rien en traitant les médecins de paresseux et en remettant en question la valeur de leurs sondages.

Alors, qu'est-ce qu'on attend pour bouger?