Le vérificateur général passe le système de la RAMQ au crible

Quand un médecin de famille fait une excision de 3 centimètres pour retirer un grain de beauté, il facture souvent 14,70$ au gouvernement. À 5 cm, c'est 22$. Mais attention, chaque centimètre de plus inscrit sur la règle commande une hausse de tarif de 13,60$.

Bienvenue dans le système incroyablement tordu de la tarification à l'acte des médecins, qui coûte une fortune administrative aux Québécois. Chaque soin prodigué par le médecin est méticuleusement détaillé et codé dans un manuel, et chaque code réfère à un tarif.

Le manuel des tarifs des médecins de famille fait 498 pages et celui des spécialistes, 832 pages. De quoi rendre fou. Les tarifs varient selon la nature de l'intervention, l'âge du patient, le moment du rendez-vous, le type d'établissement, la ville et, bien sûr, le nombre de centimètres des excisions chirurgicales, entre autres. Les factures sont payées par la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ).

Dans le milieu, on parle d'un monstre. Le système est à ce point complexe que même les médecins ont lancé la serviette et confient la gestion de leur facturation à l'une des 214 agences privées nourries par le monstre. «Les médecins ne s'y retrouvent plus. Il s'agit d'une des plaintes les plus fréquentes de nos membres», admet le PDG de la Fédération des omnipraticiens du Québec (FMOQ), Louis Godin.

Par exemple, le tarif par centimètre d'excision diffère si le bobo est situé sur un bras, plutôt que dans le cou ou sur le nez. Et le tarif est majoré selon que l'opération est effectuée en cabinet plutôt qu'à l'hôpital ou en région plutôt qu'à Montréal.

Le vérificateur à la RAMQ

Devant ce capharnaüm tarifaire, le vérificateur général du Québec a entamé une vérification exhaustive. Une équipe de plusieurs comptables et médecins passe le système au crible depuis plusieurs mois.

«Il y a effectivement une équipe du vérificateur à la RAMQ pour analyser les tarifs de rémunération des médecins, me confirme la porte-parole du vérificateur, Lucie Roy. Aucune date n'a encore été fixée pour la publication du rapport.»

Le vérificateur général, comme chacun sait, a pour mandat de s'assurer que les fonds des Québécois soient judicieusement dépensés. Or, en voyant ce monstre, le vérificateur s'interroge, me dit-on. Deux questions l'obsèdent: pourquoi le système est-il devenu si complexe et, surtout, est-ce que la RAMQ est en mesure de contrôler les factures qu'on lui envoie? Dit autrement, la RAMQ mesure-t-elle la longueur des excisions avant de payer?

La prolifération des tarifs depuis le début des années 70 s'explique par le choix de rémunérer les médecins à l'acte. Au fil des négociations entre les médecins et le gouvernement, les deux camps ont voulu détailler la valeur de chaque acte, centimètre par centimètre, pour préciser la rémunération des médecins, ce qui a créé le monstre géré par la RAMQ. La situation serait plus critique dans le cas des médecins de famille.

Le patron des médecins de famille, Louis Godin, en convient. «Il y a eu une explosion du nombre de tarifs ces dernières années», dit-il.

Un problème plus aigu au Québec

Le Québec n'est pas la seule province à gérer une multitude de tarifs, mais le problème y est plus aigu qu'ailleurs. D'abord, c'est au Québec qu'on retrouve la plus grande proportion de la rémunération à l'acte (80%), bien davantage que dans le reste du Canada (50%), par exemple.

Surtout, la dynamique des négociations a rendu le système de tarifs plus complexe qu'ailleurs. Certes, la comparaison entre le Québec et les autres provinces est difficile à faire. Au Québec, entre autres, les manuels de facturation sont séparés en deux - un pour les omnipraticiens et un autre pour les médecins spécialistes -, tandis qu'ailleurs, les deux groupes sont réunis dans un seul guide de facturation.

Tout de même, les deux manuels de tarifs au Québec sont nettement plus volumineux que les guides uniques ailleurs. Il faut l'équivalent de 1330 pages pour s'y retrouver au Québec contre 678 pages en Colombie-Britannique et 750 pages en Ontario. Parmi les grandes provinces, seule l'Alberta s'approche du Québec, avec 1281 pages.

Ce n'est pas tout. En plus du Manuel de facturation, le reste de la convention collective des médecins de famille fait 730 pages contre 279 pages en Colombie-Britannique, par exemple.

Pas étonnant que les omnipraticiens du Québec disent passer 33% plus de temps qu'ailleurs pour faire du travail d'administration, selon un sondage de l'Association médicale canadienne.

«À l'extérieur du Québec, il y avait une volonté plus grande de tenir compte des résultats. Aujourd'hui, le gros manuel de facturation n'a aucun sens. Il est un facteur important de dépenses pour les médecins, et cet argent public ne va pas en services aux patients», dit Laurent Marcoux, président de l'Association médicale du Québec.

La simplification du système de tarifs fait partie des discussions avec le ministère de la Santé depuis deux ans, indique Louis Godin, de la FMOQ. En particulier, le syndicat des médecins de famille cible la tarification pour les examens des patients, qui varie selon l'âge, la complexité, le lieu, etc. Essentiellement, on veut ramener à seulement huit la centaine de codes de tarification du manuel pour ces examens.

À voir la tension qui existe entre les médecins et le ministre Gaétan Barrette, parviendra-t-on à dompter le monstre d'ici la date butoir, fixée au 1er avril 2016? Il est permis d'en douter.