Mon reportage sur l'École nationale d'administration publique (ENAP) m'a valu de nombreuses réactions de lecteurs indignés. Et les témoignages des professeurs, étudiants ou employés du secteur public qui ont eu affaire à l'ENAP convergent: l'institution souffre de sérieux problèmes depuis plusieurs années.

Pendant ce temps, au bureau du ministre de l'Enseignement supérieur, Yves Bolduc, on s'en remet au jugement de la direction. «On est convaincu que la direction de l'ENAP va corriger la situation à la lumière des deux rapports que vous avez mentionnés. Quant à Gil Rémillard, la gestion du personnel relève de l'établissement», dit Yasmine Abdelfadel, porte-parole du ministre.

Les deux rapports, rappelons-le, dressent un portrait peu reluisant de cette université qui forme les gestionnaires de fonds publics. Il y est notamment question des cours trop faciles à la maîtrise, du taux de diplomation anémique au doctorat et de l'encadrement déficient des étudiants. L'un des comités d'évaluation demande des «améliorations impératives».

De plus, l'université semble avoir une pauvre culture de recherche et l'un des professeurs, Gil Rémillard, est payé à temps plein alors qu'il passe le plus clair de son temps au cabinet d'avocats Dentons.

Trois étudiants m'ont spontanément contacté pour confirmer la facilité du programme de maîtrise. Jean-Bernard Marchand, qui était président de l'association étudiante l'an dernier, souligne que l'association demandait notamment de rehausser la qualité linguistique des étudiants admis. Selon lui, les nombreux étudiants du Maghreb ont une trop faible connaissance du français, ce qui rend difficiles les travaux d'équipe.

Nivellement par le bas

Son de cloche semblable d'Alexis Lamy-Théberge, qui a obtenu sa maîtrise l'an dernier. Selon lui, la «facilité déconcertante» des cours s'explique par un nivellement par le bas pour attirer une clientèle plus large.

«Mes cours comportaient au minimum 50% d'étudiants étrangers, souvent près de 70% [Afrique, Maghreb surtout]. Ces étudiants, qui pouvaient être très talentueux, n'avaient souvent aucune notion de politique canadienne ou québécoise, d'histoire politique américaine. Il devenait difficile d'approfondir des comparaisons ou des modèles théoriques sans ces références.

«De façon plus générale, les étudiants de l'ENAP ne proviennent pas d'un parcours qui leur permette d'avoir des notions de base suffisantes, ce qui maintient les cours avancés dans un format introductif [gestion, comptabilité, systèmes politiques, etc.].»

Même chose ailleurs?

Plusieurs lecteurs ont été indignés par la double rémunération de l'ex-ministre Gil Rémillard (ENAP et Dentons). C'est le cas de Mario Groleau, qui croit que ce phénomène est répandu. Jusqu'en octobre, M. Groleau était président du Syndicat du personnel professionnel de l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).

«À part quelques professeurs exceptionnels, la masse fait très peu de recherche ou se contente de faire de la recherche sur des sujets insignifiants. Et comme les donneurs de subventions sont composés de confrères, trop souvent complaisants, le système s'auto-entretient», croit-il.

Mario Groleau dénonce aussi les professeurs dont l'enseignement est une extension de leurs activités professionnelles (médecine, droit, dentisterie, etc.) ou ceux qui empochent de généreux honoraires de consultation à l'externe grâce aux ressources de l'université. «Pourtant, ces services sont prévus par la convention collective comme services à la collectivité et devraient être gratuits, ou s'ils sont payants, l'argent devrait revenir à l'Université.

«À l'UQTR, nous avons même eu un professeur de mathématiques dont l'activité de recherche acceptée était la gestion d'une maison d'édition», dénonce-t-il.

Le témoignage de Mario Groleau s'ajoute à celui du professeur de l'UQAM Pierre Tremblay et à ceux de plusieurs autres à qui nous avons parlé ces dernières semaines.

Bien sûr, de nombreux professeurs sont hardis à la tâche, mais est-il possible que ce laisser-aller à l'ENAP soit relativement répandu ailleurs? Auquel cas ne devrait-on pas profiter des nouvelles compressions dans les universités pour redresser la situation?

Chose certaine, la situation mérite autre chose qu'un ministre qui se croise les bras.