Les députés du Québec ont un superbe régime de retraite. La Cadillac des Cadillac. Tellement qu'ils ont accepté de bonne grâce d'en faire plutôt une Toyota Camry dans le contexte de la loi 3, adoptée jeudi, qui dégonfle le régime des employés municipaux.

Je lève mon chapeau à cette initiative de la Coalition avenir Québec (CAQ). Laissez-moi toutefois vous démontrer qu'il y a loin de la coupe aux lèvres.

Le 12 novembre, les députés ont adopté une motion statuant que les «membres de l'Assemblée nationale acceptent de contribuer à 50% de leur régime de retraite». Cette disposition imite en quelque sorte la loi 3, qui force les employés municipaux à partager moitié-moitié avec leur employeur la contribution à leurs régimes.

Actuellement, les cotisations annuelles des députés ne représentent qu'environ 21% du coût total du régime. Le gouvernement du Québec - leur employeur - assume les 79% restants.

En faisant passer leur part de 21 à 50%, les députés devraient renoncer à une très grande partie de leur paye. Le simple député est payé quelque 90 000$ par an. On peut estimer qu'il verse environ 8100$ chaque année dans sa caisse de retraite, tandis que le gouvernement assume... 30 400$!

En ramenant de 21 à 50% leur contribution, les députés devraient donc consacrer 19 250$ de leur salaire à leur régime plutôt que 8100$, soit une hausse de 11 150$! Les élus devraient donc absorber l'équivalent d'une baisse de leur salaire d'environ 12%.

Dit autrement, les députés devraient consacrer une énorme part de leur salaire annuel pour se constituer un fonds qui serait suffisamment important pour payer, à la retraite, les avantages promis par le régime.

Justement, quels sont ces avantages? D'abord, les députés peuvent toucher leurs prestations sans pénalité dès l'âge de 60 ans, alors qu'en général, les autres régimes réduisent les prestations de 30% si le cotisant prend sa retraite à 60 ans plutôt qu'à 65 ans.

Mais surtout, les députés peuvent se constituer une pleine retraite après avoir siégé seulement 17,5 ans à l'Assemblée nationale, soit un peu moins de 4 mandats. Évidemment, leurs prestations diminuent proportionnellement s'ils sont restés moins de 17,5 ans. En comparaison, dans le marché, les employés qui ont un régime doivent souvent travailler le double, soit 35 ans, pour avoir une pleine retraite.

Historiquement, ces généreux avantages s'expliquent par le caractère précaire de l'engagement politique. Certains abandonnent une carrière florissante et bien mieux payée dans le secteur privé pour se lancer en politique. Le retour sur le marché du travail, parfois après un mandat, n'est pas toujours évident. Parlez-en à certains candidats-vedettes du Parti québécois (PQ) qui croyaient voguer vers une victoire facile aux dernières élections.

Par contre, de plus en plus, certains députés méconnus sont mieux traités à l'Assemblée nationale qu'ailleurs. Et l'expérience acquise en politique leur sert parfois de tremplin pour le privé.

Quoi qu'il en soit, l'explosion des cotisations de 11 150$ des députés rend très improbable l'adoption d'une loi qui ferait passer leur part à 50% sans autre modification de leur rémunération ou de leur régime.

C'est ce qui explique que la motion adoptée à l'initiative de la CAQ, le 12 novembre, comprend un deuxième paragraphe, qui fait référence à l'application du rapport L'Heureux-Dubé.

Ce rapport sur la rémunération des députés, déposé en novembre 2013, suggère certes d'augmenter considérablement la contribution des députés, mais aussi de majorer leur salaire pour le rendre plus comparable à ce qui est payé ailleurs au Canada.

Au moment de la rédaction du rapport L'Heureux-Dubé, le salaire des députés était d'un peu plus de 88 000$. À ce salaire de base, il faut ajouter une allocation de dépenses qui s'élèverait à environ 30 000$ s'il était imposable (16 000$ après impôts actuellement). Ces 118 000$ (88 000$ + 30 000$) sont moindres qu'en Alberta (134 000$) et au fédéral (160 000$), mais semblables à ce qui est versé en Ontario (117 000$).

Les députés québécois ne sont pas surpayés, ce qui n'est pas le cas des employés municipaux. Globalement, rappelons-le, les employés du gouvernement du Québec sont payés 39% de moins que les employés municipaux pour des postes comparables.

«Malgré le cynisme ambiant et les critiques faciles, note le rapport, nous devons reconnaître le rôle démocratique essentiel de ceux qui acceptent de servir leurs concitoyens.»

Le rapport suggère de faire passer le salaire des députés québécois à 136 000$, un bond de 18 000$. En revanche, la cotisation annuelle au régime de retraite augmenterait de 4300$ (à 12 200$). De plus, les députés pourraient avoir droit aux pleins versements d'une retraite après avoir travaillé 35 ans au lieu de 17,5 ans. Bref, rares seraient les députés qui pourraient toucher une pleine retraite avec leur seul travail de parlementaire.

Cela dit, qui au Québec peut parier sur une hausse substantielle des salaires des députés au moment où le gouvernement s'apprête à geler le salaire des fonctionnaires?

En somme, si les députés veulent réellement contribuer à 50% à leur régime, ils devront dire adieu à ses généreux avantages ET renoncer à une augmentation de leur salaire ET majorer leurs contributions de plus de 4000$ par an. Sont-ils prêts à aller aussi loin pour montrer l'exemple?