Je ne sais plus combien de courriels j'ai reçus pour me dire que c'est la faute des patrons.

Selon cette croyance populaire, c'est parce que les employeurs ont puisé dans les caisses de retraite durant les belles années que les régimes sont déficitaires aujourd'hui, notamment ceux des municipalités. Autrement dit, les employés n'auraient pas à faire des sacrifices aujourd'hui, n'eût été ces congés de cotisations pris par l'employeur.

Qu'en est-il vraiment? Pour y voir clair, j'ai posé des questions précises à la Régie des rentes du Québec (RRQ), qui encadre les régimes. J'ai concentré mes efforts sur les villes de Montréal et Québec, dont les déficits des régimes représentent 60% de ceux de l'ensemble des municipalités du Québec.

Les réponses obtenues sont étonnantes. De 1991 à 2013, les congés de cotisations pris par la Ville de Montréal ont totalisé 593 millions. À Québec, on parle plutôt de 14 millions. Ces congés ont été pris lorsque les régimes étaient en surplus, grâce aux rendements spectaculaires de la Bourse à la fin des années 90, entre autres. Les données incluent les villes fusionnées.

En toute équité, il faut toutefois comparer ce chiffre avec ce que les municipalités ont dû payer pour éponger les déficits des mauvaises années. Selon la RRQ, la Ville de Montréal a dû verser 2,1 milliards à cet égard, entre 1991 et 2013. Cette somme a été versée en sus des paiements courants pour les régimes. À Québec, ces cotisations d'équilibre s'élèvent à 250 millions.

Autrement dit, il est vrai que les municipalités ont pris des congés, mais elles ont aussi dû assumer à elles seules les énormes déficits. Au net, Montréal a donc versé environ 1,5 milliard de plus qu'elle n'a pris de congé depuis 1991. À Québec, l'écart est de 236 millions.

Les congés de cotisations, faut-il préciser, ont souvent été imposés à la Ville de Montréal par les règles fiscales. Avant 2011, en effet, Revenu Canada obligeait les régimes à prendre des congés dès qu'ils avaient des surplus excédant de 10% les besoins (taux de capitalisation de 110%). Depuis 2011, ce seuil est passé à 125%.

Ce n'est pas tout. La RRQ nous indique que les surplus des belles années n'ont pas profité qu'aux employeurs. Pendant que la Ville de Montréal prenait des congés de 593 millions, les employés obtenaient des bonifications équivalentes à leur régime. Or, ces bonifications sont aujourd'hui considérées comme des droits acquis par les employés.

Dire que les problèmes des régimes sont attribuables aux congés de cotisations est donc un mythe, du moins pour les villes de Montréal et Québec. Compte tenu du contexte économique, il y a fort à parier que la situation est semblable dans les entreprises et les autres municipalités.

La police de Montréal

À Montréal, il y a différents régimes pour les cols bleus, les pompiers, les policiers, etc. Or, l'essentiel des congés de cotisations de la Ville a été pris pour le régime des policiers (500 des 593 millions). Dans leurs revendications, les policiers ont donc raison de dire que la Ville a pris des congés. Toutefois, leur régime a été bonifié de façon équivalente.

Ces congés ont été pris pour une raison bien simple: le régime des policiers est en bien meilleure santé que les autres. Selon la Fraternité des policiers de Montréal - le syndicat -, le taux de capitalisation du régime au 31 décembre 2013 était de 106%. Autrement dit, les fonds excèdent de 6% les besoins de retraite. En comparaison, le taux de capitalisation des autres régimes de la Ville de Montréal serait de 10 à 20 points inférieurs, selon des données historiques.

Le régime des policiers étant donc en surplus, où est le problème? Pourquoi contestent-ils le projet de loi 3 du ministre Pierre Moreau?

C'est que le projet de loi exige que le coût du service courant des régimes soit désormais partagé à 50-50 entre l'employeur et les employés. En ce moment, les policiers versent l'équivalent de 7% de leurs salaires au régime et l'employeur, 21%, pour un total de quelque 28%. Autrement dit, c'est un quart-trois quarts.

Autre contrainte: le projet de loi exige que la part des employés et celle des employeurs soient plafonnées à 18,2% (en excluant le fonds de stabilisation), plutôt que 28%. Ces 18,2% sont semblables au maximum que peuvent cotiser les contribuables sans fonds de retraite à leur REER.

Comme moins d'argent sera versé dans le régime, les policiers devront donc renoncer, pour leur retraite, à certains des avantages qu'ils ont acquis ces dernières années. Parmi les avantages qui pourraient être revus par négociation, mentionnons l'âge de la retraite.

En ce moment, les policiers peuvent prendre leur retraite après 30 ans de service, peu importe leur âge. Autrement dit, les policiers qui sont entrés dans la police à 22 ans peuvent prendre leur retraite à 52 ans, sans pénalité. La Fraternité fait valoir que le métier est difficile mais, admettons-le, il s'agit de très belles conditions.

La Fraternité faut aussi valoir qu'historiquement, les policiers ont renoncé à de meilleurs salaires pour privilégier le régime de retraite, d'où les 28% aujourd'hui. De son côté, la Ville fait remarquer que le coût du service courant du régime a plus que doublé depuis 15 ans, à 80 millions par an. Un beau débat en perspective.