Depuis quelques années, des professeurs de l'École polytechnique Montréal donnent un coup de fil à chacun des étudiants qui font une demande d'admission au bac.

Ce printemps, entre 500 et 1000 ingénieurs en devenir ont ainsi reçu un appel personnalisé à la maison, destiné à répondre à leurs questions pointues.

Poly fait également tirer un prix de présence de 500$ à chacune de ses deux rencontres préparatoires de la mi-avril, qui prennent la forme de bourses d'inscription. Même les parents présents pouvaient gagner deux chèques cadeaux de 50$.

La porte-parole de l'École, Chantal Cantin, refuse d'associer les prix de présence à un moyen d'inciter les étudiants à choisir Polytechnique. Il s'agit d'une façon de remercier les gens de leur présence, dit-elle. Par contre, elle admet que «les appels des professeurs font partie de l'approche personnalisée pour recruter des étudiants».

Ce genre d'initiative n'est guère surprenante sachant que la Poly doit se battre contre l'Université McGill, l'ETS et les autres universités pour recruter de nouveaux étudiants et ainsi boucler son budget. Et avec les tendances démographiques à l'horizon, ce phénomène n'est pas près se résorber, à Poly comme ailleurs.

Un des fascicules du budget Leitao, baptisé Le défi des finances publiques du Québec, brosse un portrait fort intéressant des débats en vue sur l'allocation des ressources. Comment sera partagée la tarte entre les différentes missions du gouvernement sachant que cette tarte ne grossira presque pas d'ici 10 ans?

Le gouvernement prévoit imposer ce qu'il appelle un «cran d'arrêt aux dépenses» et n'autoriser aucune nouvelle dépense sans une économie équivalente ailleurs dans l'appareil gouvernemental. Le budget suggère que l'arbitrage entre les missions soit notamment fonction de la croissance de la population et de l'inflation, en plus de la croissance économique.

Or, la démographie aura un effet dramatique sur le financement des universités, bien davantage que sur les autres missions du gouvernement. D'ici 10 ans, la clientèle des universités, les 17-24 ans, diminuera de 1,6% par année, selon des données de Statistique Canada reprises par le ministère des Finances. Les autres tranches de la population seront stagnantes ou en augmentation, notamment les personnes de 65 ans et plus (+3,3% par année).

Sachant que les universités sont essentiellement financées par le gouvernement en fonction du nombre d'étudiants admis et que les droits de scolarité des étudiants ne seront que légèrement indexés, l'effet de la démographie sera très problématique pour les universités.

Voyons voir. D'ici 10 ans, les dépenses de l'ensemble des ministères devront augmenter de 3% par année, en moyenne, pour maintenir le panier de services actuel. Cette progression de 3% tient compte seulement de l'augmentation de la population et de l'inflation. Depuis 2003, la croissance annuelle des dépenses liée à ces deux mêmes facteurs a été semblable (3%), mais supérieure (4,6%) si l'on y ajoute les nouveaux services.

Cependant, les écarts de croissance varieront beaucoup entre les missions de l'État au cours des prochaines années. Ainsi, les dépenses pour la santé et les services sociaux bondiront de 3,9% par année d'ici 2024 si on les ajuste à l'inflation et à la démographie. Cette progression annuelle serait de 3,2% pour l'enseignement primaire et secondaire et de 1,9% pour le poste famille (garderie, etc.). De son côté, l'enseignement supérieur n'aurait droit qu'à un maigre 0,4% par année!

Ce plafond imposerait d'importantes contraintes aux établissements universitaires, eux qui réclament désespérément une hausse de leurs budgets depuis plusieurs années. Les difficultés seront d'autant plus grandes qu'une part importante de leurs budgets est consacrée à leurs immeubles, qui constituent une dépense incompressible.

Que feront les recteurs? Diminueront-ils le nombre de profs pour joindre les deux bouts? Offriront-ils davantage de cours sur l'Internet à un nombre plus grand d'étudiants? Devront-ils louer, à des tiers, les locaux construits à gros prix?

Chose certaine, les débats risquent d'être houleux et la concurrence demeurera féroce entre les universités pour attirer les étudiants indispensables à leur financement. Coup de fil personnalisé, publicités, promotion et autres stratégies de marketing devraient être au rendez-vous. La guerre pour les étudiants étrangers devrait également se poursuivre. À moins que le gouvernement et les universités s'entendent pour trouver des solutions imaginatives à cette baisse dramatique de la clientèle.

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CROISSANCE DES DÉPENSES DU GOUVERNEMENT ATTRIBUABLE À LA DÉMOGRAPHIE ET À L'INFLATION

(en pourcentage)

[Santé et services sociaux | Enseignement primaire et secondaire | Enseignement supérieur | Famille]

...depuis 2004 : 4,3 | 1,0 | 2,7 | 3,9

...d'ici 2024 : 3,9 | 3,2 | 0,4 | 1,9

Source : ministère des Finances du Québec (budget) à partir de données de Statistique Canada