Disons que vous êtes le patron. Un patron respecté. Vous avez un poste à pourvoir, à l'interne. Choisissez-vous le candidat en fonction de sa compétence, de son ardeur au travail ou de son ancienneté?

La compétence est la réponse spontanée de bien des gestionnaires, mais curieusement, les employeurs du Québec ont une réaction très différente de celle des patrons des autres régions du Canada, selon une enquête que vient de publier Statistique Canada.

L'organisme a posé cette question à 7818 entreprises de 20 employés et plus au Canada en 2012. Les critères de sélection pour l'avancement sont divisés en quatre catégories: 1-uniquement sur les efforts et les capacités (compétences); 2-en partie sur les efforts et les capacités ainsi que sur d'autres facteurs, comme l'ancienneté; 3-principalement sur d'autres facteurs, comme l'ancienneté; 4-autres facteurs seulement.

En Ontario, 68% des entreprises ont offert de l'avancement à des employés en se basant uniquement sur le premier critère (efforts et capacités), tandis que 28% ont dit considérer aussi l'ancienneté. Au Québec, c'est l'inverse: 35% se sont basés uniquement sur la compétence et l'effort, tandis que 60% ont dit aussi considérer l'ancienneté. Ailleurs au Canada, les réponses sont semblables à l'Ontario.

Autrement dit, l'ancienneté jouerait un rôle important au Québec quand vient le temps d'offrir une promotion, bien plus qu'ailleurs au Canada. Comment expliquer cet écart?

D'abord, la différence pourrait s'expliquer par le taux de syndicalisation plus grand ici qu'ailleurs (36% au Québec contre 26% en Ontario et 21% en Alberta) et par l'omniprésence du secteur public (47% du PIB au Québec contre 38% en Ontario).

De nombreuses conventions collectives, c'est connu, exigent que l'ancienneté soit un critère prédominant pour l'attribution de certains avantages, rappelle Michel Tremblay, professeur de gestion des ressources humaines à HEC Montréal. Ainsi, il n'est pas impossible que cette exigence ait des conséquences sur l'avancement.

Il faudrait alors en conclure qu'au Québec, les employés appelés à jouer un rôle plus important dans leur entreprise seraient moins compétents qu'ailleurs, ce qui serait troublant.

D'autres explications sont possibles, toutefois. Quand vient le temps d'offrir des promotions, les patrons québécois pourraient accorder plus d'importance à l'expérience (terme proche de l'ancienneté), en plus des «capacités et des efforts», ce qui ne serait nécessairement pas une mauvaise décision.

Autre hypothèse: les patrons québécois pourraient peut-être choisir plus fréquemment de nommer un plus ancien afin d'éviter des conflits que provoquerait la montée d'un jeune fougueux, fait valoir Michel Tremblay. «Moins de conflits dans une organisation peut parfois contrebalancer les avantages de l'avancement d'un jeune employé compétent», dit M. Tremblay.

L'écart avec les autres régions canadiennes demeure toutefois impressionnant.

Bas prix ou qualité?

Autre particularité québécoise relevée par ce sondage: le positionnement différent sur l'axe prix-qualité. L'organisme a demandé aux entreprises si, à long terme, elles misaient davantage sur les bas prix et les coûts pour battre la concurrence ou si elles concentraient leurs efforts sur le positionnement de leurs biens et services.

Au Québec, 91% des entreprises ont dit miser sur le positionnement de leurs biens ou services, comparativement à 88% en Ontario et 85% en Alberta. À l'inverse, seulement 9% des entreprises du Québec disent tenter de dominer le marché par les coûts et les bas prix, contre 12% en Ontario et 15% en Alberta.

Il faut dire que les entreprises du Québec font face à moins de concurrence qu'ailleurs, sauf dans les Maritimes, selon l'enquête de Statistique Canada. Ainsi, au moment de l'enquête, en 2012, 35% des entreprises du Québec disaient faire face à de nouveaux concurrents dans leur principal marché, contre 37,5% en Ontario et 45,5% en Alberta.

De plus, au Québec, 48% des répondants disent avoir une multinationale qui les concurrence dans leur principal marché, contre 57% en Ontario et en Alberta.

Bref, le contexte semble expliquer les décisions différentes des patrons du Québec, mais les écarts importants portent à réflexion.