N'importe quel économiste vous le dira : l'un des piliers d'une économie forte est l'éducation. Et en premier lieu, l'obtention d'un diplôme d'études secondaires de qualité.

Or, le principal pourvoyeur de diplômes secondaires, l'école publique, a été fortement malmené au Québec ces dernières années. Et plutôt que de réagir, les autorités restent les bras croisés, soucieuses avant tout de faire des économies. Parlez-en aux enseignants de la région de Montréal, ils sont intarissables.

Essentiellement, trois éléments ont contribué à détériorer la situation. D'abord, les classes « régulières » des écoles secondaires ont progressivement été vidées de leurs meilleurs élèves. Les parents se sont tournés vers le privé ou encore, ils ont opté pour un programme d'enrichissement particulier au public, comme les écoles d'éducation internationale, destinées à contrer, justement, l'exode vers le privé.

Or, l'appauvrissement de ces classes a eu pour effet, paradoxalement, d'en éloigner encore davantage les enfants doués ou les enfants de parents ayant des moyens financiers. Certains parents font tout pour éviter le public. Quand leurs enfants ne réussissent pas les examens d'entrée des écoles plus fortes, comme Regina Assumpta, Brébeuf ou l'international, ils se tournent vers des écoles privées moins sélectives, comme le Collège Letendre, à Laval.

Les chiffres sont limpides : en une décennie, la proportion d'élèves qui fréquentent le privé au secondaire a bondi, passant de 15,4 % en 1998 à près de 20 % en 2009 (plus récente donnée disponible).

Quant aux programmes d'enrichissement au public, qui nécessitent des examens d'entrée, ils regroupent environ 14 % des élèves aujourd'hui. Autrement dit, le tiers des élèves - les plus forts - désertent les classes normales.

« Les classes sont de moins en moins ordinaires, on le sent clairement. Avant, par principe d'émulation, les plus forts tiraient les plus faibles vers le haut. C'est moins le cas », dit Sylvain Mallette, professeur d'histoire et président de la Fédération autonome de l'enseignement (FAE), un syndicat de professeurs.

À cet écrémage s'est ajouté un autre phénomène : l'intégration aux classes normales des élèves en difficulté. À Laval, par exemple, la commission scolaire a récemment annoncé qu'à la prochaine rentrée scolaire, 800 élèves en difficulté qui ont échoué au primaire seront intégrés aux groupes réguliers du secondaire pour les cours autres que le français et les mathématiques. Autrement dit, les professeurs d'histoire, de physique ou d'art pourraient voir leurs classes composées d'environ 20 % d'élèves avec de graves retards.

« L'intégration n'est pas nouvelle. Elle s'étend depuis des années, un peu partout, poussée par l'idéologie qu'on ne doit plus étiqueter des enfants », dit M. Mallette, qui dénonce aussi les coupes dans le personnel de soutien (psychologue, technicien en éducation spécialisé, etc.).

Tout indique que l'intégration est notamment motivée par des impératifs budgétaires, puisque normalement, les classes d'élèves en difficulté comptent moins d'élèves par professeur.

Les compressions à répétition des dernières années minent aussi la productivité des enseignants. Leur matériel informatique est devenu désuet ou insuffisant, les photocopieuses sont souvent défectueuses, les techniciens informatiques sont trop peu nombreux, les livres de référence sont manquants, etc.

Tout n'est pas bancal pour autant. Les élèves québécois ont obtenu des résultats formidables en mathématiques aux examens internationaux. Les résultats en sciences et en lecture sont toutefois en net recul.

Autre élément de réjouissance : le taux de décrochage est sur une pente descendante depuis quelques années. Cependant, l'amélioration s'explique en partie par l'abaissement de certaines exigences, les directions d'école étant obnubilées par les objectifs chiffrés du Ministère. L'embellie s'explique aussi par l'ajout dans les statistiques des élèves qui obtiennent des qualifications pour des métiers semi-spécialisés et qui n'obtiennent pas, dans les faits, de diplôme traditionnel.

Des solutions?

Pour redresser le réseau public, certains suggèrent d'éliminer carrément les subventions au privé - environ 50 % du coût de formation - et de redistribuer l'argent au public. Cette solution simpliste omet de considérer que les coupes au privé provoqueraient un transfert d'enfants vers le public, où les coûts de formation pour le gouvernement ne sont pas de 50 %, mais de 100 %.

Pour ma part, j'opterais plutôt pour une coupe de 5 à 10 % des subventions au privé sur deux ans, avec redistribution ciblée vers le public (environ 50 millions par année, à terme). L'impact sur la baisse de fréquentation au privé serait probablement faible, même si les parents étaient appelés à contribuer davantage. En effet, combien de parents du privé opteraient vraiment pour le public en raison d'une hausse de 100 à 200 $ par année ?

Cette solution ne serait pas suffisante, néanmoins. Et au bout du compte, l'idée n'est pas d'empêcher les parents d'offrir le mieux à leurs enfants, mais de sauver le réseau public.

Les autorités doivent prendre un temps d'arrêt pour analyser objectivement les effets des coupes et des réformes. Et s'affairer à trouver des solutions. Bien sûr, il est encore possible de faire des économies dans les commissions scolaires et au ministère de l'Éducation. Mais après les regroupements des commissions scolaires et les fusions d'école ces dernières années, il y a de moins en moins de gras, quoi qu'on en dise.

Évidemment, l'idéal, pour l'État, serait d'engranger plus de recettes, grâce à une économie plus prospère. Chose certaine, notre économie a besoin d'élèves bien formés et d'enseignants motivés.