Septembre 2010. Alimentation Couche-Tard tente d'acheter son concurrent Casey's General Stores au royaume du capitalisme, les États-Unis. Conclusion? Couche-Tard échoue, notamment parce que Casey's a recours aux règles de son État, l'Iowa.

C'est ce genre de protection que le gouvernement péquiste veut mettre en place pour favoriser le maintien de sièges sociaux au Québec. Le ministre des Finances, Nicolas Marceau, a accueilli favorablement le rapport d'un groupe d'experts à ce sujet, formé notamment d'Andrew Molson, du Canadien de Montréal, de Michel Leblanc, de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, et de Monique Jérôme-Forget, ex-ministre libérale.

Les sièges sociaux, tous en conviennent, sont d'une importance capitale pour notre économie. Ils fournissent du travail à des avocats, des comptables, des informaticiens. Ils font vivre des restaurateurs, des compagnies aériennes, des événements culturels. Ils regroupent des dirigeants très bien payés, qui paient des impôts.

Protéger nos sièges sociaux n'est pas si simple, cependant. La plupart des sièges sociaux sont rattachés à des entreprises inscrites en Bourse. Or, freiner la mainmise étrangère sur ces entreprises avec des règlements aurait pour effet d'en réduire la valeur en Bourse, selon plusieurs études, du moins à court et à moyen terme. L'économiste Jean-Marc Suret estime le recul entre 10 et 20%.

Pourquoi? Essentiellement, les investisseurs boursiers auraient pour réflexe de déprécier les titres boursiers des entreprises protégées, jugeant leurs perspectives de hausse moins intéressantes avec le refus possible d'un conseil d'administration se réfugiant derrière les nouveaux règlements. Or, personne n'est gagnant à voir une entreprise perdre de la valeur: ni les actionnaires, ni les financiers, ni le collecteur d'impôts.

Autre inconvénient: un régime de protection pourrait rendre le conseil et la direction moins performants, plus tolérants à la médiocrité. Pensez au Canadien Pacifique. Certes, le transporteur ferroviaire n'était pas menacé de changer de main, mais l'entrée en scène de l'activiste Dan Ackman, mécontent du rendement, a forcé le conseil à mettre le PDG à la porte et à embaucher le dirigeant-vedette Hunter Harrison. Résultat: le titre a explosé de 130% depuis son arrivée, en juin 2012.

D'autres chercheurs font plutôt valoir qu'une entreprise doit se protéger contre les offres hostiles des spéculateurs qui ne cherchent que les profits à court terme, au détriment de résultats plus bénéfiques à long terme. Ce fut le cas, en quelque sorte, de Casey's, aux États-Unis. Depuis le refus de l'offre hostile de Couche-Tard, le titre boursier a grimpé de quelque 70%.

Parmi les trois principales mesures proposées par le comité, malheureusement, la première est plutôt bancale, la deuxième, très complexe et la troisième, inapplicable à court terme.

D'abord, lors d'une offre hostile, le comité veut donner plus de pouvoirs aux actionnaires de longue date (deux ans ou plus) en leur accordant deux droits de vote plutôt qu'un seul. Les spéculateurs de court terme seraient donc désavantagés.

La formule est accueillie favorablement, mais jugée restrictive et complexe. De nos jours, les actionnaires détiennent leur placement durant 1,8 année. «Même de grands investisseurs institutionnels ne se qualifieraient pas», dit l'expert Yvan Allaire, qui préfère n'accorder le droit de vote qu'à ceux qui détiennent leurs actions depuis plus d'un an.

La deuxième mesure du comité, soit d'encadrer l'entreprise prédatrice dans sa gestion future de la proie, est très mal reçue. Par exemple, le comité suggère d'empêcher le prédateur de revendre pendant cinq ans les actifs importants de la proie, représentant 15% ou plus de l'organisation. «En pratique, ça deviendra impossible à gérer pour le gouvernement», dit le professeur Michel Magnan.

L'expert Michel Nadeau, tout comme MM. Allaire et Magnan, juge toutefois très pertinente la troisième mesure. Le comité propose d'inscrire dans les règles que la responsabilité du conseil d'administration est non seulement de maximiser la valeur des actionnaires, mais aussi de prendre en compte l'intérêt de l'entreprise dans son ensemble. Cette notion a été reconnue par la Cour suprême et est aussi appliquée au Delaware, l'État où sont incorporées 60% des entreprises américaines.

Cette disposition permettrait à un conseil de refuser une transaction qui ne profiterait qu'aux actionnaires, inconsidérément. L'entreprise prédatrice pourrait contester devant un tribunal, qui devrait alors trancher. Seul problème, et il est de taille: le Québec doit convaincre les autres provinces de changer les lois sur les valeurs mobilières pour que la mesure soit fonctionnelle.

Ce que j'en pense? Que la protection des sièges sociaux est très importante, que le rapport est pertinent, mais qu'il faut travailler encore pour rendre les principales mesures applicables. Et surtout, que l'ajout de quelques mesures est plus adéquate que les seules interventions éventuelles de la Caisse de dépôt et placement ou du Fonds de solidarité FTQ pour garder nos acquis.

Ne nous leurrons pas, toutefois: la meilleure façon de développer et d'attirer des sièges sociaux est de faire croître notre économie, d'avoir une fiscalité avantageuse, une main-d'oeuvre brillante et des finances publiques en bon ordre.