Question quiz: à combien le gouvernement du Québec estime-t-il son aide financière à la cimenterie de Port-Daniel-Gascons, en Gaspésie? Des indices: le gouvernement investit 100 millions comme actionnaire et fait un prêt de 250 millions.

Non, vous vous trompez, la réponse n'est pas 350 millions. Le gouvernement estime plutôt que son aide financière réelle s'élèvera à... 41 millions! Mieux encore: il calcule que, grâce aux retombées fiscales, il fera un profit net de 38 millions sur 12 ans avec ce projet.

Comment est-ce possible? Je sais, vous êtes allergiques aux subventions aux entreprises et moi aussi, mais pour analyser l'aide à l'entreprise Ciment McInnis, plaçons-nous dans la peau des décideurs du gouvernement, étape par étape.

D'abord, dans ses dépenses, le gouvernement du Québec n'inscrit pas la valeur totale du prêt de 250 millions, mais plutôt une provision pour une perte éventuelle. Il procède ainsi pour tous ses prêts, même pour les prêts étudiants. Comme le projet gaspésien est très risqué, le gouvernement inscrit une provision importante, qui équivaut à environ 40% du prêt, soit 100 millions. Vous me suivez?

Les 250 millions prêtés à McInnis ne viennent pas du ciel. Le gouvernement doit lui-même emprunter sur les marchés pour avoir cet argent, à taux d'intérêt moindre, bien entendu. Québec inscrit donc dans ses dépenses ce que lui coûte, en intérêts, l'emprunt à long terme des 250 millions qu'il verse à la cimenterie. Cette somme est de quelque 30 millions.

En somme, au départ, le coût de l'aide pour le gouvernement est de quelque 130 millions, soit la provision de 100 millions, plus les intérêts de 30 millions. Ces 130 millions ne seront pas inscrits aux dépenses budgétaires dès la première année, mais plutôt au fur et à mesure de la construction de la cimenterie et du déboursement du prêt, sur trois ans.

Vous me suivez toujours?

Au cours des années suivantes, cette dépense de quelque 130 millions sera toutefois réduite par les paiements d'intérêt que feront les propriétaires pour le prêt. Après 12 ans, le gouvernement estime qu'environ 90 millions d'intérêt lui auront été versés et que l'aide nette sera donc de 41 millions.

Ce n'est pas fini. Le projet de 1 milliard de dollars engendrera d'importantes retombées fiscales. En 2014 et 2015, quelque 3800 emplois directs et indirects seront créés pendant la construction. Par la suite, quelque 400 emplois directs et indirects seront maintenus pendant l'exploitation de la cimenterie.

Or, qui dit emplois dit impôts et taxes. Sans l'aide du gouvernement, pas de projets, et sans projets, pas d'emplois et pas de rentrées fiscales. Globalement, le gouvernement estime qu'il retirera 79 millions de dollars de rentrées fiscales nettes sur 12 ans. Cette somme inclut la part des profits qui sera retournée au gouvernement avec sa participation au capital-actions.

Tout pris en compte, le gouvernement calcule donc que le projet lui aura rapporté 38 millions après 12 ans, soit la rentrée fiscale de 79 millions moins le coût de l'aide, de 41 millions. Ces données sont contenues dans un document dont nous avons eu copie.

Évidemment, le gouvernement risque de tout perdre si la construction connaît d'importants ratés, si les nouveaux procédés de la cimenterie ne fonctionnent pas ou si les Américains n'achètent pas.

Évidemment, le gouvernement pourrait perdre certains avantages fiscaux si les autres cimenteries au Québec souffraient de ce nouveau concurrent, et coupaient dans les emplois et la production. L'Association canadienne du ciment estime que le marché nord-américain sera en surcapacité de 30% jusqu'en 2020.

À ces arguments, les promoteurs répondent que le ciment gaspésien, tiré d'un gisement de calcaire de première qualité, sera essentiellement destiné à l'exportation. Et que ce marché, américain, est appelé à reprendre le chemin de la croissance au cours des prochaines années.

Oui, mais ne craignez-vous pas le gâchis de la papetière Gaspésia? Bien sûr. Mais Gaspésia, faut-il le rappeler, ne comprenait aucun apport de capitaux privés. Certes, il y avait bien Tembec comme partenaire, mais les 35 millions de l'entreprise ont été consentis seulement en échange de la radiation d'une obligation qu'elle avait envers le gouvernement.

Dans le cas de Port-Daniel, les investisseurs privés mettent 212 millions sur la table. Parmi eux se trouve la famille Beaudoin-Bombardier, loin d'être des deux de pique.

Bref, je ne défends pas l'aide gouvernementale, tant s'en faut, mais l'analyse de la logique gouvernementale nous aide à mieux soupeser les décisions. Surtout que l'investissement est fait dans une région où le chômage atteint 16,4% et où la stagnation économique finira par coûter cher au gouvernement, ne serait-ce qu'en infrastructures inutilisées.

Oh, en passant, l'injection de 100 millions de dollars du gouvernement péquiste au capital-actions de McInnis provient d'un fonds de développement pour le secteur minier annoncé par le gouvernement de Jean Charest il y a deux ans. Le fonds Capital Mines et Hydrocarbures était doté d'une enveloppe de 1 milliard et il reste maintenant 900 millions.