Les investisseurs ont raison d'être en colère contre le Fonds de solidarité FTQ. Et ils ont raison de vouloir retirer leur argent.

Ils ont raison, mais ils sont frustrés et impuissants, parce qu'en vertu des règles de l'institution, leur argent est gelé jusqu'à la retraite. Peu importe les décisions de l'organisme, peu importe qu'il investisse ou non dans des projets douteux, les investisseurs sont pris en otage.

Le témoignage de Guy Gionet à la commission Charbonneau et l'écoute électronique des policiers n'ont rien pour amoindrir leur cynisme. L'ex-président de SOLIM, bras immobilier du Fonds, explique qu'il répondait aux ordres de certains dirigeants du syndicat, qui voulaient aider des «chums».

Sous leur pression, il acceptait de financer des proches du crime organisé.

Il acceptait de participer à des projets douteux, notamment un projet de marina fréquentée par des Hells Angels. Il était également question de financer l'achat d'un bar de danseuses nues, figurez-vous. L'homme a même accepté de donner un coup de main au «grand ami» de Michel Arsenault, Tony Accurso, pour frauder le fisc. Incroyable!

Certes, le Fonds FTQ dit avoir changé ses règles de gouvernance en 2009 pour empêcher que ne se reproduisent de telles sottises. Le problème, c'est que le Fonds n'a pas changé par pureté éthique, mais en réaction à la pression des médias et à leurs enquêtes de longue haleine.

«C'est le temps de faire le ménage. Le risque réputationnel n'est pas acceptable», disait alors Yvon Bolduc, qui est toujours le PDG du Fonds.

Quand une banque prend des décisions contestées, elle en paie le prix. Les clients réclament leur argent et le placent ailleurs.

Parlez-en à la Banque Royale. L'institution a subi les foudres de ses clients à la suite des scandales Earl Jones, Cinar ou Norshield, qui ont fait perdre des centaines de millions aux investisseurs.

Parlez-en à la Banque Nationale. À la fin de 2011, La Presse révélait que tout se passait en anglais dans certaines divisions, même si le travail, effectué au Québec, n'y avait rien à voir avec les clients. La nouvelle a incité l'animateur Guy A. Lepage à suggérer le boycott de l'institution. Des clients ont réagi, demandant le retrait de leurs fonds.

On s'entend, on est loin des horreurs entendues à la commission Charbonneau, mais la Banque Nationale a dû s'ajuster pour tenir compte de la réaction de ses clients. Et aujourd'hui, elle s'est sortie de ce faux pas, comme la Banque Royale.

Au Fonds FTQ, les investisseurs ne peuvent rien faire. En échange d'un crédit d'impôt de 30% du gouvernement, leur argent est gelé dans le fonds syndical jusqu'à la retraite. Ils sont pris en otage.

Selon un reportage de ma collègue Isabelle Ducas, plusieurs aimeraient bien retirer leurs fonds, dégoûtés par ce qu'ils entendent. Un investisseur s'est même plaint à l'Autorité des marchés financiers (AMF).

En principe, ce gel de leur argent est justifié. Les gouvernements acceptent de leur accorder 30% de crédit d'impôt parce que le Fonds FTQ investit dans des entreprises plus risquées, parfois pour sauver des emplois. Dit autrement, le crédit d'impôt de 30% compense les rendements moins grands du Fonds à long terme. Le problème, c'est qu'il rend le Fonds invulnérable face aux réactions de ses clients.

D'autres options au gel des fonds existent, pourtant. Par exemple, le fonds Capital coopératif Desjardins, qui investit dans les régions, permet aux investisseurs de bénéficier d'un crédit de 50% du gouvernement provincial. Or, l'investisseur peut retirer ses fonds après sept ans.

Autre exemple: quand un employé quitte une entreprise, il peut transférer les fonds qu'il a accumulés pour la retraite dans ce qu'on appelle un CRI, soit un compte de retraite immobilisé. L'argent peut être encaissé progressivement seulement à la retraite.

Pourquoi le gouvernement ne permettrait-il pas une telle latitude pour les investisseurs du Fonds? Tiens, pourquoi ne pas permettre un transfert à Fondaction CSN?

Hier, le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, a qualifié d'inacceptable le silence de la première ministre Pauline Marois face aux révélations sur le Fonds FTQ. Il demande que le gouvernement change la loi constitutive du Fonds pour faire en sorte que le président du conseil d'administration de l'institution et la majorité des membres du conseil soient indépendants de la FTQ.

Le gouvernement doit aller plus loin et envisager de permettre aux investisseurs de quitter le bateau quand le capitaine veut s'aventurer dans une mer parsemée d'icebergs.