Quand j'étais jeune, mon père nous disputait lorsqu'on abusait des appels interurbains au téléphone. Il recevait la facture mensuelle de Bell Canada et voyait bien, par exemple, qu'un des trois frères avait passé de trop longues minutes à jaser de tout et de rien au téléphone avec une fille d'une lointaine ville.

«Pourquoi ne pas écrire des lettres?», nous disait-il.

C'était il y a 30 ans, à une époque où les interurbains coûtaient une fortune et où le temps tournait beaucoup plus lentement. Aujourd'hui, avec les courriels, les SMS, Facebook et Twitter, l'information circule à la vitesse de la lumière et plus personne n'accepterait d'attendre deux semaines avant d'avoir des nouvelles de sa dulcinée ou de son amoureux.

C'est dans ce contexte que s'inscrit la vaste restructuration annoncée par Postes Canada hier. La société d'État livre un milliard de lettres de moins qu'il y a six ans. Face à ce bouleversement, elle n'a pas su se réinventer assez rapidement pour s'adapter aux changements technologiques. Au cours des deux dernières années, la société a perdu 250 millions de dollars, et le Conference Board prévoit qu'elle perdra 1 milliard par année en 2020 si rien ne change.

Postes Canada a donc annoncé d'importants changements. D'ici cinq ans, finie la poste à la maison, il faudra se déplacer pour aller chercher son courrier. L'organisation prévoit avoir 15 000 employés de moins dans ses rangs (retraite ou abolition de postes), soit 27% de son effectif. Les tarifs des timbres augmenteront de près de 50% le 31 mars prochain.

Mais il n'y a pas que le modèle d'affaires qui date d'une autre époque. Le généreux régime de retraite de Postes Canada est l'un des plus déficitaires au pays. Il s'agit d'un régime à prestations déterminées, semblable à celui des municipalités et des grandes entreprises, qui garantit une rente aux futurs retraités peu importe l'évolution des marchés. Au 31 décembre 2012, le déficit du régime s'élevait à 6,5 milliards de dollars.

«L'importance des obligations liées au régime de retraite et aux autres avantages à l'emploi est disproportionnée par rapport à notre position de trésorerie et à notre profit. [...] La volatilité des marchés a entraîné des pertes actuarielles de 1,5 milliard en 2012», est-il écrit dans le plus récent rapport annuel de Postes Canada. Sans les mesures d'allégement prévues par la loi à l'égard des régimes de retraite, précise la direction, l'entreprise n'aurait pu continuer à offrir le service.

Ironiquement, Postes Canada aurait pu se sortir du pétrin si elle s'y était prise plus tôt. En 2006, des fonctionnaires avaient proposé un plan de privatisation de la société d'État au gouvernement conservateur, expliquait le chroniqueur Barrie McKenna, du Globe and Mail, en octobre dernier.

La restructuration impliquait une levée des fonds des investisseurs et l'entrée en Bourse de Postes Canada. Le gouvernement conservateur a finalement rejeté le plan, peut-être en raison de son statut minoritaire. À la place, il a permis à la société d'État d'emprunter pour moderniser ses activités, avec les résultats que l'on connaît.

Toujours est-il que la fonctionnaire responsable du plan, Moya Greene, a proposé la même chose à Royal Mail, le pendant de Postes Canada au Royaume-Uni. Et devinez quoi: Royal Mail a finalement fait son entrée en Bourse avec succès cet automne, avec Moya Greene comme présidente.

Malheureusement, il est maintenant trop tard pour reculer. Postes Canada continue de conserver son utilité, notamment pour la livraison de colis, qui explose avec l'internet. Il faudra toutefois faire une croix sur les charmantes lettres du père Noël livrées à la porte que nos enfants ouvrent les yeux grands.

Mode /Nombre d'adresses /% du nombre d'adresses / Coût annuel moyen

À domicile /5 083 963 /33% /283$

Point de remise centralisé ex.case postale d'immeuble)/ 3 797 444 / 25% / 127$

Boîte postale multiple ou communautaire/ 3 929 896/ 25%/ 108$

Installation de livraison (ex.: case postale)/ 1 787 025/ 12%/ 59$

Boîte aux lettres rurale /739 411 /5% /179$

TOTAL /15 337 739/ /168$

Source: Rapport annuel de Postes Canada pour 2012

Note: En date du 31 décembre 2012

«Le gouvernement du Canada appuie Postes Canada dans ses efforts pour remplir son mandat d'assurer son autonomie financière afin de protéger les contribuables, tout en modernisant ses activités et en adaptant les services postaux aux choix des Canadiens.»

- Lisa Raitt, ministre responsable de Postes Canada

«On se demande s'il n'y a pas une volonté de mettre fin à un service public.»

- Alexandre Boulerice, député néo-démocrate de Rosemont-La Petite-Patrie

«On ajuste la réalité historique des villes anciennes du Québec au modèle des banlieues récentes. C'est une très mauvaise nouvelle.»

- Richard Bergeron, chef de l'opposition à l'hôtel de ville de Montréal

«Nos municipalités comptent un nombre croissant d'aînés, dont une certaine proportion a des contraintes de mobilité. Dans un contexte de maintien à domicile accru, qu'arrivera-t-il aux aînés qui ne seront pas en mesure de se déplacer jusqu'à une boîte postale?»

- Maurice Dupont, président de la Fédération de l'âge d'or du Québec (FADOQ)