On se serait cru dans un autre univers. Un autre Québec que celui de la commission Charbonneau et de la Charte des valeurs. Des dizaines de personnes de tous les horizons culturels étaient chaudement applaudies, mercredi de la semaine dernière, pour avoir réussi à faire... beaucoup d'argent.

Cet autre univers, c'était le gala du Grand Prix de l'entrepreneur d'EY, présenté à la magnifique galerie d'art L'Arsenal, au coeur de Montréal. Des avocats d'affaires, des banquiers et surtout des entrepreneurs, jeunes et vieux, y fêtaient leurs succès. Plusieurs personnalités y ont été vues, notamment Laurent Beaudoin (Bombardier), Charles Sirois (Télésystème) ou Jean Leclerc (Laura Secord).

Le ton de la soirée contrastait singulièrement avec la grisaille économique et les horreurs entendues à la Commission. Bien sûr, la critique avait été laissée au vestiaire à l'entrée, mais tout de même, quelle soirée rafraîchissante! À l'image de ce que le Québec peut faire de mieux.

Le gala a récompensé les entrepreneurs qui se sont démarqués en 2013 dans une dizaine de secteurs. Et quelles découvertes y avons-nous faites!

Saviez-vous que les gants de latex qu'utilisent de nombreux dentistes partout dans le monde sont fabriqués à Lachine? L'entreprise A.R. Medicom a su se tailler une place enviable dans ce marché, avec 200 millions de dollars de chiffre d'affaires. Son patron, Ronald Reuben, a été récompensé après 25 ans de persévérance.

Saviez-vous que c'est une entreprise de Montréal, Les Fermes Lufa, qui a créé la première serre commerciale de légumes sur un toit en ville? L'entrepreneur Mohamed Hage veut implanter le concept dans d'autres grands centres.

Saviez-vous que la multinationale Disney a choisi une firme bien québécoise, Groupe Canam, de Beauce, parmi les principaux fournisseurs de son nouveau projet très secret en Floride? Son patron, Marc Dutil, a été couronné entrepreneur de l'année. «Nous étions peu nombreux dans ma catégorie Construction. Les autres sont en prison», a-t-il dit à la blague.

Bref, les 740 convives ont pu voir à quel point des entrepreneurs du Québec déplacent des montagnes grâce à leur passion, leur détermination et leur travail. La grande majorité des gagnants ont chaleureusement remercié leurs équipes et leurs familles. Dans leur discours, pas une once de pingrerie, que des gens reconnaissants et fiers de leur réussite.

Trop peu d'entrepreneurs

Ces belles histoires cachent cependant une triste réalité, a fait remarquer Alain Lemaire, l'un des trois frères de l'entreprise Cascades, récompensés pour leur carrière. Le Québec compte trop peu d'entrepreneurs, déplore l'homme d'affaires.

De fait, en 2013, la proportion de Québécois qui entreprennent des démarches pour se lancer en affaires est de seulement 6,3%, comparativement à 9% dans le reste du Canada, selon un indice conçu par la Fondation de l'entrepreneurship. Et cet écart persiste depuis plusieurs années.

Or, les PME sont d'importants créateurs de richesse pour notre économie. On aura beau faire de grandes stratégies économiques, de grands discours, la croissance passe par ces entrepreneurs.

«Notre plus grand potentiel, ce n'est pas le Grand Nord et les mines, mais le potentiel entrepreneurial des jeunes», soutient Louis-Jacques Filion, professeur à HEC Montréal spécialisé en entrepreneuriat.

Le Québec est à contre-courant de la tendance mondiale, croit-il. «Le système scolaire n'encourage pas suffisamment l'entrepreneuriat. Et aucune ville n'en fait une priorité. Elles veulent attirer des entreprises étrangères, mais négligent la création d'entreprises», dit-il.

Selon M. Filion, les gens qui réussissent très bien sont encore mal vus au Québec. Et avec la commission Charbonneau, entrepreneur rime avec escroc. «On a peur des entrepreneurs», soutient le professeur.

Les Québécois sont aussi plus dépendants de l'État qu'ailleurs au Canada. Selon la Fondation de l'entrepreneurship, 28% des Québécois qui entreprennent des démarches pour se lancer en affaires identifient des programmes gouvernementaux pour se financer, comparativement à 8% ailleurs au Canada.

Les femmes pourraient faire partie de la solution, constate-t-on. À l'école, les filles décrochent moins que les garçons, obtiennent de meilleures notes et reçoivent davantage de mentions d'excellence. Et depuis 25 ans, elles ont littéralement envahi le marché du travail, si bien que les jeunes femmes sont aujourd'hui plus nombreuses à travailler au Québec que dans n'importe quel pays du G7. Or, parmi les 37 finalistes au gala du Grand Prix de l'entrepreneur d'EY, seulement deux femmes figurent sur la liste!

Quoi qu'il en soit, ne soyons pas défaitistes et saluons ces entrepreneurs qui travaillent d'arrache-pied pour réussir. En particulier, levons notre chapeau aux finalistes et aux gagnants du Gala. Qu'ils continuent à se dépasser et à faire... beaucoup d'argent.

Pour connaître les lauréats 2013 pour le Québec »»