Savez-vous qui est le président du conseil d'administration de la Caisse de dépôt et placement? Non, ce n'est pas Michael Sabia, qui est président-directeur général. Celui qui préside la douzaine de réunions annuelles du conseil d'administration s'appelle Robert Tessier.

Savez-vous qui est le président du conseil de la Banque Nationale? Non, ce n'est pas Louis Vachon, qui est président et chef de la direction. La personne qui préside le conseil s'appelle Jean Douville.

Vous ne les connaissez pas, et c'est normal. Leur rôle n'est guère public. De fait, leur tâche n'est pas de gérer les placements de la Caisse ou les fonds de la Banque Nationale, mais de nommer le PDG, de juger de son travail et de voir aux grandes orientations de leur organisation, au cours de quelques réunions.

«Il serait malvenu pour eux de piloter un dossier d'investissement particulier, de s'en faire l'avocat. Ce serait un faux pas qui créerait un problème au conseil d'administration», dit le président de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques, Yvan Allaire, qui a siégé à plusieurs conseils d'administration.

Sachant cela, comment se fait-il que Michel Arsenault, qui est président du conseil du Fonds de solidarité FTQ, pas le PDG, soit la porte d'entrée de certains dossiers d'investissement?

Comment se fait-il qu'il ait rencontré les dirigeants de l'entreprise de décontamination mafieuse Carboneutre? Comment se fait-il qu'il ait assuré le suivi régulier du dossier auprès du VP des investissements du Fonds et qu'il ait agi comme intermédiaire avec le représentant de l'entreprise?

Les documents d'écoute électronique déposés à la commission Charbonneau sont clairs. Michel Arsenault a rassuré le représentant Jocelyn Dupuis pour lui dire que la demande de 7,5 millions de Carboneutre progresse «dans la machine à saucisses». Il lui a dit: «Que [les dirigeants de Carboneutre] produisent les documents, après je m'organiserai.»

Plus encore: «Quand [un dossier] bloque, ma job, c'est de débloquer ça.»

Maintenant qu'on connaît le rôle interventionniste de Michel Arsenault, comment ne pas douter de certains investissements du Fonds FTQ? Par exemple, quand l'institution financière a racheté les Galeries Laval de son ami Tony Accurso pour 85 millions en 2011, Michel Arsenault s'était-il préalablement assuré que le dossier progressait convenablement dans la «machine à saucisses» ?

Est-ce pour cette raison que le Fonds FTQ a payé l'équivalent de deux fois l'évaluation municipale et de 15 à 30% de plus que les transactions comparables. Est-ce pour cette raison que le Fonds s'en est principalement remis à une firme d'évaluation payée par Tony Accurso pour juger du prix de la propriété, qui affichait alors un taux d'inoccupation de 25%?

A-t-il dit à son ami: «Inquiète-toi pas, Tony, le dossier progresse dans la machine à saucisses» ?

Les documents d'écoute électronique montrent que Michel Arsenault a finalement rejeté le dossier Carboneutre lorsqu'il a su l'implication du crime organisé et c'est tout à son honneur. N'empêche, la proximité entre le président du conseil et certains dossiers d'investissement du Fonds pose problème.

Il y a 10-15 ans, les grandes organisations ont séparé le poste de PDG de celui de président du conseil d'administration, notamment pour éviter ce genre de situations. Seules les PME ou les grandes entreprises qui ont un actionnaire de contrôle ont des chefs qui occupent le double rôle.

Le Fonds FTQ n'est plus une PME. Son actif est de 9,3 milliards de dollars. Et contrairement aux sociétés d'État ou aux entreprises en Bourse, le Fonds FTQ ne subit pas de pressions fortes des élus ou des actionnaires pour améliorer sa gouvernance. Sur les 17 membres du conseil, seulement 6 sont indépendants; les autres viennent essentiellement du mouvement syndical. Sa structure est d'ailleurs dictée par une loi.

Compte tenu des événements des dernières années, l'institution doit revoir, avec le concours du gouvernement, la gouvernance de son conseil d'administration, ce qui rassurerait les investisseurs.

«Aucun doute qu'il faut un président du conseil indépendant et des administrateurs majoritairement indépendants au conseil, dit Yvan Allaire. Le Fonds ne peut plus être seulement l'affaire de la FTQ. Il y a maintenant trop d'argent là-dedans.»

Le Fonds de solidarité FTQ continue, encore aujourd'hui, d'avoir une mission utile en jouant un rôle d'éducation économique auprès des syndiqués et d'investisseurs, de créateurs d'emplois. Pour le bien de l'institution, toutefois, Michel Arsenault doit céder sa place comme président du conseil du Fonds FTQ. L'organisation doit nommer un président indépendant, qui se tiendra loin... de la «machine à saucisses».