Le niveau de vie des Québécois est plus faible que celui des Ontariens par une marge de 6160$ par habitant. Toutes sortes d'explications, à gauche et à droite, ont été avancées pour justifier cet écart du produit intérieur brut (PIB) par habitant, mais les faits sont têtus: les Québécois sont globalement plus pauvres que leurs voisins, c'est indéniable.

Or, une étude publiée hier soutient que ce retard n'est pas récent. De fait, le Québec produit moins de revenus par habitant que son voisin depuis au moins 1870, soit presque 150 ans.

L'étude a été réalisée par Vincent Geloso pour le compte du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal. Vincent Geloso est l'auteur du livre controversé Du grand rattrapage au déclin tranquille, qui soutient que la Révolution tranquille n'a pas fait progresser économiquement le Québec. L'historien économique, qui poursuit son doctorat à la London School of Economics, revient à la charge avec cette étude.

Cette fois, sa recherche porte plus précisément sur la productivité du Québec depuis son entrée dans la Confédération canadienne. Cette notion de productivité est loin des préoccupations des Québécois, mais elle est cruciale pour le niveau de vie d'une nation.

La productivité est le volume produit par heure travaillée (ou par habitant). Plus un pays, ses entreprises et ses services gouvernementaux produisent de biens par heure travaillée, plus ils sont riches et plus le niveau de vie global augmente. Il n'est pas question de travailler plus, mais d'être plus efficace, de mieux utiliser la technologie, d'être mieux formé.

Vincent Geloso a fouillé les statistiques pour constater que les Québécois n'ont jamais vraiment rattrapé les Ontariens depuis 150 ans. Par exemple, en 1890, le revenu réel par habitant au Québec équivalait à 65% de celui des Ontariens. Le Québec a eu des hauts et des bas, mais au début de la Seconde Guerre, le revenu par habitant au Québec était toujours moindre, soit environ 74% de celui des Ontariens.

Selon le chercheur, c'est durant l'ère de Maurice Duplessis que le Québec a comblé une plus grande part de l'écart. Le revenu personnel par habitant est ainsi passé de 75% de celui des Ontariens en 1946 à environ 82% en 1960. Le rattrapage s'est poursuivi par la suite (92% en 1976), mais M. Geloso attribue une bonne part de ce bond à la croissance importante des transferts fédéraux vers le Québec.

Depuis 1976, le niveau de vie du Québec a stagné par rapport à celui de l'Ontario. En tenant compte de la taille des ménages, estime le chercheur, le revenu par individu est resté stable, à 78% de celui des Ontariens.

Vincent Geloso attribue au «modèle québécois» ce fossé de 22%. Selon lui, la présence plus grande de l'État dans l'économie depuis les années 60 nuit à la productivité, l'État étant moins efficace que le privé pour produire un même bien. Par exemple, si le Québec ramenait ses subventions aux entreprises au même niveau relatif que celui de l'Ontario, il économiserait 3 milliards de dollars, dit-il.

Il déplore aussi la réglementation excessive dans les secteurs agricole et de la construction, de même qu'une fiscalité trop imposante. Il juge les lois du travail trop rigides et la présence syndicale trop forte, ce qui nuit à la création d'emplois. «Le modèle québécois n'a pas livré les fruits qu'on prétend», dit-il au téléphone.

Il rappelle que la proportion de Québécois titulaires d'un baccalauréat demeure moindre qu'en Ontario (niveau stable équivalant à 80% de celui des Ontariens depuis 25 ans).

Le constat de Vincent Geloso est choquant. Le chercheur juge que le Québec n'aurait pas dû adopter plusieurs de ces mesures de la Révolution tranquille.

Certes, plusieurs pourraient être remises en question. Toutefois, M. Geloso omet de considérer sérieusement l'impact des différences culturelles des Québécois sur leurs choix, et notamment l'effet de l'omniprésence des valeurs judéo-chrétiennes de l'Église sur l'économie du Québec entre 1870 et 1980.

Il minimise l'impact de la décision des francophones de s'autodéterminer. Dans les années 60, l'émancipation des Québécois passait par l'État. Dans les années 70, la protection de la langue a mené à la loi 101, que peu remettent en doute aujourd'hui. Ces choix démocratiques ont été légitimes, mais ils ont coûté très cher.

Entre 1976 et 1985, entre 24 000 et 45 000 anglophones ont quitté le Québec chaque année. Le départ de ces quelque 300 000 personnes, souvent instruites et bien nanties, a sans nul doute retardé le rattrapage du Québec en matière de productivité.

Aujourd'hui, la spécificité québécoise continue d'influer sur l'économie. Aucune autre région nord-américaine, par exemple, n'a connu autant de manifestations depuis 50 ans.

Une chose est certaine, néanmoins: peu importe le passé et la culture, le Québec doit s'attaquer sans tarder à la productivité et être plus brillant, efficace, innovateur que ses voisins. Même le péquiste Nicolas Marceau, ministre des Finances, en a fait état dans un discours devant une assemblée d'économistes, la semaine dernière. Alors, on fonce?

L'étude est disponible à l'adresse: https://cpp.hec.ca/cms/assets/documents/recherches_publiees/PP_2013_02.pdf