Il y a quelques années, un fiscaliste ingénieux me racontait comment il avait fait économiser une montagne d'impôts à une entreprise techno du Québec pour son investissement en Chine. Tout avait été fait légalement, dans les règles de l'art.

Pour investir en Chine, m'expliquait-il, pas question que son client injecte les fonds directement là-bas, puisqu'il aurait payé une tonne d'impôts au moment de rapatrier les profits. L'entreprise devait plutôt faire transiter son argent par les Pays-Bas dans un premier temps, puis par les îles Maurice, si je me rappelle bien, avant d'aboutir en Chine.

Le fiscaliste avait fait du «magasinage fiscal» pour trouver le meilleur cheminement de l'argent. Son cas n'est pas exceptionnel: tous les jours, des fiscalistes du monde entier s'affairent à optimiser la facture fiscale internationale de leurs clients.

Or, ce "magasinage" s'apprête à vivre une révolution. Les autorités des grands pays se concertent pour faire obstacle à ces investissements faits par des pays relais. Il en a été question au sommet du G20, la semaine dernière.

Au Canada, le ministère des Finances a récemment déposé un document de consultation fascinant sur ce phénomène qu'ils ont baptisé le chalandage fiscal (treaty shopping). Le ton du document est déterminé, et le Ministère attend des suggestions d'ici le 13 décembre.

Pour comprendre, il faut savoir que le Canada a signé des conventions fiscales avec 90 juridictions. Ces conventions ont pour but de favoriser le commerce et les investissements internationaux. Entre autres, elles cherchent à réduire les possibilités de double imposition d'une même entreprise pour une même somme, soit un prélèvement d'impôts à l'étranger et un prélèvement au Canada.

Chaque convention bilatérale est différente, mais le principe est le même: le Canada accepte de donner des avantages commerciaux et fiscaux aux entreprises d'un pays ami en échange d'avantages semblables pour les entreprises canadiennes qui font des affaires dans ce pays.

Ces conventions engendrent toutefois des problèmes. Des firmes de pays tiers qui ne sont pas signataires d'une convention avec le Canada, notamment, établissent des coquilles vides dans des pays amis pour bénéficier des avantages de ces conventions, indirectement. «On considère qu'une telle pratique constitue un usage "abusif" des conventions fiscales», écrit le ministère des Finances dans le document de consultation.

Des centaines de millions sont en jeu. Et les pays relais sont bien connus, compte tenu du volume anormal d'entrées et de sorties de fonds étrangers. Par exemple, ces flots d'argent aux Pays-Bas sont deux fois plus importants que la taille de l'économie du pays (200% du PIB). Les trois quarts de ces fonds transitent par des coquilles pratiquement vides, comptant peu d'employés. Au Luxembourg, le flot d'entrées et de sorties de fonds est presque quatre fois plus important que le PIB (352%).

Le ministère des Finances est bien au fait de la problématique puisque certains dossiers de l'Agence du revenu du Canada (ARC) sont rendus devant les tribunaux.

L'ARC a toutefois mordu la poussière parce que les lois canadiennes ne sont pas clairement définies et restrictives à cet égard, selon le document de consultation.

Des exemples? En 2011, l'ARC a perdu sa cause contre Velcro Canada pour des impôts estimés à 8,6 millions. Essentiellement, pour éviter l'impôt canadien, Velcro Canada a versé ses redevances à un pays relais - les Pays-Bas - avant de les transférer presque totalement à sa société mère, située dans les Antilles néerlandaises. Ce faisant, Velcro a évité la retenue d'impôt canadienne de 25% qu'elle aurait payée si elle avait versé les redevances directement dans les Antilles néerlandaises.

En 2009, Revenu Canada avait aussi perdu une bataille, cette fois contre l'entreprise Prévost Car, de Beauce, constructeur d'autobus bien connu détenu par une firme suédoise. Encore une fois, les Pays-Bas ont été utilisés comme pays relais, cette fois pour le versement de dividendes en franchise d'impôts à la maison mère de Suède.

Les sommes évitées ne sont pas précisées dans le jugement, mais le litige portait sur des dividendes totalisant 77,6 millions versés par Prévost Car entre 1996 et 2001.

Fort de cette expérience, le Canada cherche maintenant une façon de fermer la porte à ces planifications fiscales, comme le font d'autres pays de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), d'ailleurs.

Le ministère des Finances a songé à inclure des clauses restrictives dans les conventions fiscales. Cette approche risquerait toutefois d'être longue et fastidieuse, puisque chacun des 90 traités devrait alors être renégocié, avec la complexité qui en découle. «Dans la pratique, il faudrait des décennies», écrit le Ministère.

L'autre approche est d'inclure, dans les lois existantes, «des règles nationales anti-évitement dans le cas de chalandage fiscal», auxquelles seraient soumises les conventions fiscales. Une telle approche est appuyée autant par l'OCDE que par les Nations unies. Une révolution à suivre.

Îles Vierges britanniques 41 326%

Îles Caïmans 5055%

Liberia 1096%

Hong Kong 857%

Islande 573%

Luxembourg 352%

Belgique 340%

Singapour 336%

Suisse 243%

Pays-Bas 200%

(1) Il s'agit des entrées et sorties de fonds en pourcentage du PIB