Disons que vous voulez rénover votre maison, par exemple y ajouter un étage. Question: parmi les trois entrepreneurs invités, allez-vous nécessairement choisir le moins cher?

La réponse est évidente, le prix n'est qu'une des composantes de votre choix. La compétence de l'entrepreneur compte tout autant, sinon plus. Est-il reconnu? A-t-il fait beaucoup d'autres projets du genre? S'est-il fait poursuivre? Bref, est-il suffisamment qualifié pour les travaux?

Ce qui semble évident pour de petits projets devrait l'être tout autant, sinon plus, pour des ouvrages de plus grande envergure. Ce n'est pourtant pas le cas de la plupart des travaux dans les municipalités, notamment pour le choix des ingénieurs.

Or, cette façon de faire, encadrée par la loi 106, a entraîné des effets pervers, selon des témoins entendus à la commission Charbonneau, dont Patrice Mathieu, lundi dernier, qui est l'un des cadres de la firme de génie-conseil Aecom.

En vertu de cette loi, adoptée en 2002, c'est surtout le prix qui détermine le choix de la firme de génie-conseil pour l'essentiel des projets, bien avant les compétences.

Grosso modo, les municipalités commencent d'abord par écrémer les proposants à un projet en fonction d'une note de passage pour la qualité, fixée à 70%. Vient ensuite l'ouverture des enveloppes de prix des firmes qui ont passé la première étape. Selon la loi, la firme qui offre le plus bas prix doit être choisie.

Une telle procédure est bancale. Le proposant qui a obtenu 92% pour la qualité n'a pas plus de chance que celui qui a eu 71%. Si le plus incompétent du lot soumissionne 1$ plus bas que le second, il emporte le contrat.

Ce système crée une concurrence féroce entre les firmes - c'est le but souhaité - qui est cependant malsaine, parce qu'elle ne compare pas le prix pour une même qualité. De plus, elle n'incite pas la firme d'ingénieurs à développer une relation à long terme pour d'éventuels autres projets, puisque le prochain ira nécessairement au plus offrant.

Cette loi 106 est donc de nature à inciter les firmes à contourner les règles et à fixer les prix d'avance.

Avant l'adoption de la loi, en 2002, l'Association des ingénieurs-conseils du Québec avait averti le gouvernement. «La collusion pourrait devenir un effet pervers de la loi», nous dit aujourd'hui la PDG de l'Association, Johanne Desrochers.

Le système est d'autant plus boiteux que bien des municipalités n'ont pas les compétences pour évaluer un projet. Et qu'il revient à la firme de génie de circonscrire le problème et de définir les besoins. «On nous demande de mettre un prix pour la conception, les plans et devis et la surveillance d'un projet qui n'est pas clairement défini. Ça explique bien des extras», fait valoir Mme Desrochers.

Ce n'est pas tout. Les entrepreneurs généraux d'un projet sont aussi choisis en fonction du plus bas prix, la plupart du temps. Et si le prix offert est très bas, l'entrepreneur aura parfois tendance à couper les coins ronds pour éviter de perdre de l'argent.

Or, la firme de génie choisie doit surveiller les travaux des entrepreneurs et, dans un tel cas, elle devra être plus vigilante. Imaginez si la firme de génie cherche aussi à couper les coins ronds parce qu'elle a offert un prix trop bas. Au revoir la qualité, bonjour les futurs coûts d'entretien. «On ne fait pas d'économies, on se tire dans le pied, ce n'est pas dur à comprendre», dit Mme Desroches.

Le système d'appels d'offres du gouvernement du Québec est plus approprié, mais comporte aussi des zones d'ombre. Essentiellement, le gouvernement choisit d'abord la firme d'ingénieurs qui obtient la meilleure cote de compétence pour un projet et négocie le prix par la suite.

Toutefois, ce prix est fonction d'une grille de tarifs horaires fixés par décret en 2009. Or, les tarifs horaires sont les plus bas au Canada, parfois de beaucoup. Par exemple, le tarif maximum versé à une firme pour un ingénieur de 10 ans d'expérience qui est responsable d'un projet est de 116$ l'heure. En Ontario, c'est 195$, en Colombie-Britannique, 181$ et au Nouveau-Brunswick, 158$.

De leur côté, les entrepreneurs généraux sont choisis en fonction du plus bas prix pour les projets communs. Il y a cependant des étapes plus exigeantes pour se qualifier pour les projets de plus de 40 millions ou pour les projets de structures complexes (ponts, viaducs, etc.).

Pas de doute que la collusion est inadmissible. Toutefois, l'environnement réglementaire est parfois de nature à inciter les firmes à tricher. Peut-on créer un environnement qui ne viendra pas tenter la nature humaine?