Le sujet a souvent fait l'actualité depuis 20 ans: le Canada serait victime d'un exode des cerveaux au profit des États-Unis, notamment en raison de ses politiques économiques et fiscales.

Des médecins, des informaticiens et des chercheurs auraient été très nombreux à quitter le Canada, attirés par les gros salaires, les faibles impôts et les budgets avantageux de nos voisins du Sud. Les conséquences économiques des départs sont très importantes: ils privent le Canada de ses meilleurs éléments, formés à coups de millions de dollars.

Or, une étude toute récente des économistes Brahim Boudarbat et Marie Connolly, associés au CIRANO, vient jeter un pavé dans la mare. Leurs conclusions sont surprenantes: l'exode vers les États-Unis serait un phénomène marginal, touchant au plus 2% des diplômés depuis 1995.

Mieux encore: environ la moitié d'entre eux sont revenus au Canada et parmi ceux qui sont restés aux États-Unis, 61% veulent revenir! Bien que l'étude apporte des nuances importantes, notamment sur certains diplômés du doctorat, les chercheurs concluent que «l'exode des diplômés postsecondaires vers les États-Unis est loin d'être problématique et du coup, ne requiert pas une intervention particulière de la part des décideurs des politiques publiques».

Pour analyser le phénomène, les chercheurs ont utilisé les données de l'enquête nationale auprès des diplômés de Statistique Canada pour les trois plus récentes cohortes, celles de 1995, 2000 et 2005. Ces données permettent de suivre l'évolution des diplômés postsecondaires de chaque cohorte deux ans et cinq ans après l'obtention de leur diplôme. Bon an, mal an, quelque 275 000 étudiants obtiennent leur diplôme.

Essentiellement, 1,2% des diplômés de la cohorte de 1995 travaillaient aux États-Unis 5 ans plus tard. Cette proportion est passée à 2% pour la promotion de 2000. Quant à la promotion de 2005, les chercheurs ont seulement des données pour 2 ans plus tard (2007), et le taux est alors de 1,1%. En somme, les départs semblent avoir atteint un sommet entre 2000 et 2005 pour reculer ensuite.

Les chercheurs constatent en outre une forte proportion de retours à la maison. Ainsi, sur les quelque 10 000 diplômés de la cohorte de 2000 qui ont quitté pour les États-Unis entre 2000 et 2005, 4800 sont revenus au Canada, soit près de la moitié. Quant aux autres, 61% avaient l'intention de revenir.

«Il semblerait que l'exode est temporaire, le temps d'enrichir son CV d'une formation ou d'une expérience internationale. En bout de piste, il semble que le Canada tire profit de cette mobilité internationale», écrivent les chercheurs.

Tel que prévu, certains secteurs sont plus touchés. C'est le cas du secteur regroupant la technologie, les sciences physiques et de la vie (4,9% en 2005 pour la promotion de 2000), de même que celui regroupant le génie et les sciences appliqués (3,7% en 2000 pour la cohorte de 1995) ou encore le secteur qui englobe les mathématiques, l'informatique et les sciences de l'information (2,3% en 2005 pour la cohorte de 2000).

Par ailleurs, les deux économistes ont constaté que les salaires versés aux diplômés travaillant aux États-Unis étaient de 27 à 40% plus élevés qu'au Canada. De plus, les salaires de ceux qui reviennent travailler au Canada demeurent 18% plus élevés que les salaires des diplômés qui n'ont jamais quitté le pays.

Beaucoup de doctorats

Malgré la proportion globalement modeste de l'exode, les chercheurs admettent que «le phénomène touche bel et bien les scientifiques et les chercheurs canadiens de plus hauts niveaux d'études».

Ainsi, la proportion des titulaires canadiens d'un doctorat qui vivaient aux États-Unis était de 6,6% en 2000 pour la cohorte de 1995, comparativement à 10,9% en 2005 pour la promotion de 2000.

«Cela pourrait s'expliquer par le fait que les programmes de doctorat attirent beaucoup d'étudiants internationaux et que les occasions d'emploi sont relativement rares au niveau local, voire national, pour les niveaux de spécialisation très élevés», écrivent les chercheurs.

Quoi qu'il en soit, l'étude donne une autre perspective à ce phénomène très médiatisé, affirmant qu'il est loin d'être problématique.

Il aurait été intéressant, toutefois, que les chercheurs puissent vérifier si les départs varient dans le temps en fonction des politiques fiscales et du contexte économique au Canada et aux États-Unis.

Par exemple, le recul des taux d'imposition au Canada durant les années 2000 a-t-il eu un effet? Qu'en est-il du boom des technos des années 90, du boom immobilier américain des années 2000 ou de la débâcle financière américaine récente? N'ont-ils pas influencé l'exode?

D'autre part, il aurait été intéressant de connaître les données des titulaires de doctorats selon leurs champs d'études, en particulier pour les secteurs en demande. Si la proportion de diplômés du troisième cycle travaillant aux États-Unis est de 11%, quelle est celle des docteurs en technologies de l'information?