Dans le monde des affaires, certaines décisions laissent pantois le commun des mortels, comme celle touchant la rémunération du PDG de BlackBerry.

Ainsi, comment peut-il être justifiable d'offrir à un gestionnaire une indemnité de départ éventuelle de 55,6 millions de dollars? Jusqu'à quel point le préjudice qu'il subira en quittant l'entreprise ou les exploits réalisés avant son départ peuvent-ils justifier l'octroi d'une telle somme?

Chez BlackBerry, le conseil d'administration a pourtant jugé que le président et chef de la direction, Thorsten Heins, méritera cet argent lorsqu'il partira. L'entreprise ontarienne vient d'être mise en vente et si jamais elle trouve preneur rapidement, c'est la somme que pourrait toucher M. Heins, indique la circulaire de direction.

Depuis trois ans, l'entreprise qui fournit des téléphones intelligents est en déroute, n'ayant pas renouvelé assez rapidement ses gammes d'appareils pour contrer la concurrence des iPhone d'Apple, entre autres. L'action de BlackBerry est ainsi passée de 77$ à 10$, faisant perdre une fortune aux investisseurs.

La déconfiture est telle que la seule option valable qui reste au conseil d'administration est de vendre l'entreprise au plus offrant, tel qu'annoncé la semaine dernière.

Thorsten Heins est entré au service de l'entreprise en 2007, lorsqu'elle était au sommet (le titre a atteint 149$ en 2008). Il est devenu chef de l'exploitation, ingénierie des produits, en mai 2010, puis président et chef de la direction en janvier 2012, après le départ des deux fondateurs James Balsillie et Mike Lazaridis.

Thorstein Heins a stoppé l'hémorragie au cours des deux dernières années en fermant la moitié des usines et en abolissant des milliers d'emplois. Certes, l'entreprise a connu un regain de vie boursier temporaire durant cette période, alimenté notamment par les attentes suscitées par le nouveau BlackBerry 10, mais M. Heins a été grassement payé pour ces réalisations (19,4 millions sur 2 ans).

Surtout, ces faits d'armes n'ont pas été assez convaincants pour empêcher le conseil d'administration de jeter l'éponge et de mettre l'entreprise en vente.

Or, face à cet échec, que fait le conseil d'administration? Il modifie le contrat de M. Heins, améliore encore ses conditions et lui offre une somme qui pourrait atteindre 55,6 millions si l'entreprise est vendue rapidement.

Autrement dit, M. Heins touchera le pactole lorsque l'entreprise, au moment de la vente, aura concrétisé l'échec des stratégies passées auxquelles Heins a lui-même participé comme grand responsable des produits.

Cette décision du conseil repose sur une logique qui n'est pas nouvelle. L'organisation veut retenir ses principaux dirigeants jusqu'à la vente et les inciter à bien gérer l'entreprise en attendant. En somme, on leur demande de bien préparer la future mariée.

En repassant le fil des événements, on constate que M. Heins a bien joué ses cartes. En mars dernier, bien avant l'annonce de la vente, il a commencé à renégocier son contrat avec le comité de rémunération du conseil d'administration.

Le processus a mené à la signature d'une entente le 21 mai, entérinée par les actionnaires à l'assemblée annuelle du 9 juillet. Un mois plus tard, le conseil annonçait officiellement l'exploration d'options stratégiques pour BlackBerry, dont la vente.

Selon la circulaire de direction, M. Heins touchera 55,6 millions s'il doit quitter l'organisation après un changement de contrôle. Cette somme, qui est une puissante mesure favorisant la vente de l'entreprise, variera en fonction du cours de l'action, puisque la rémunération de M. Heins est en bonne partie composée d'unités d'actions différées.

Avant l'adoption du nouveau contrat à l'assemblée du 9 juillet, son indemnité de départ en cas de vente était plutôt estimée à 18,9 millions, indique la circulaire de direction. Le conseil d'administration a donc jugé que cette somme était insuffisante pour le retenir.

L'indemnité de départ n'est pas la seule singularité de la rémunération de M. Heins. Sans crier gare, le conseil a bonifié sa paye entre septembre 2012 et mars 2013 pour compenser, entre autres, l'impact du faible cours de l'action de l'entreprise sur la valeur des unités d'actions de M. Heins.

Ainsi, Thornsten Heins a touché un boni additionnel de 3 millions pour l'année se terminant en mars 2013. Cette somme, fixée arbitrairement par le conseil, s'ajoute à sa rémunération de 9,1 millions de l'année, mais elle ne figure pas au tableau de rémunération de l'entreprise.

Il est permis de douter que cette distribution excessive d'argent du conseil d'administration ait un impact réel sur la bonne conduite de l'entreprise. Certes, elle ne provoquera pas de révolte chez les actionnaires, puisqu'elle équivaut à seulement 10 à 15 cents par action. Toutefois, pour le commun des mortels, cette avalanche de millions pour une entreprise en perdition est une autre illustration des excès du système.