Personne n'ose l'évoquer publiquement. Mais en privé, c'est la première chose qui vient à l'esprit: les tensions dans l'industrie de la construction expliquent peut-être bien les deux récents appels à la bombe visant le chantier du Centre universitaire de santé McGill (CUSM).

Rappelons le contexte. Le lundi 17 juin est la date limite fixée par l'alliance syndicale pour trouver un terrain d'entente sur les conditions de travail de l'industrie. Pas d'entente et c'est la grève ou encore un lock-out décrété par la partie patronale. À la suite de chaque appel à la bombe, il faut évacuer 1000 employés et perdre un temps précieux, aux frais de l'employeur.

Des barrières à l'entrée

L'industrie de la construction est une drôle de bibitte, probablement le secteur le plus réglementé au Québec. N'y entre pas qui veut. D'abord pour y travailler, il faut avoir obtenu son certificat de compétence du Québec, une forme de permis de travail qui est précédée par une formation et une période d'apprentissage de plusieurs mois. Pas de «carte», pas de travail!

Ensuite, l'industrie est divisée en quatre segments (industriel, résidentiel, commercial, génie civil) et en 26 corps de métier, ce qui rend complexe l'allocation du travail. Pas le bon corps de métier, pas de travail! En comparaison, l'Ontario compte sept familles de métier.

Enfin, le Québec est le seul endroit en Amérique du Nord où les employés doivent nécessairement être syndiqués. Ces règles syndicales sont parfois exigeantes. Par exemple, un employé de Drummondville ne peut pas travailler d'emblée à Saint-Hyacinthe, pourtant situé à une demi-heure de route. En effet, les règles obligent l'employeur de Drummondville à embaucher une proportion importante de travailleurs de Saint-Hyacinthe pour un contrat sur place. Pas de salariés locaux, pas de travail!

Bref, le système est complexe et rigide, et il faut une armée de techniciens pour s'y retrouver. Quant aux salaires, ils sont relativement généreux. Un employé régulier dans le secteur industriel gagne près de 65 000$ pour l'équivalent de 34 semaines de travail à temps plein. Celui du secteur commercial et institutionnel fait 46 000$ (32 semaines). Et quand on ajoute le traditionnel travail au noir, la paye augmente sensiblement. Certes, le travail est physiquement exigeant, mais il ne requiert souvent qu'une formation du secondaire.

Le système tire ses origines d'une époque où le marteau et la faucille étaient à la mode. Il explique peut-être la stabilité de l'industrie et la grande qualité de la main-d'oeuvre. N'empêche, aujourd'hui, cette rigidité n'aide en rien les entreprises et les gouvernements à être concurrentiels face au reste du monde.

C'est dans ce contexte que les patrons ont présenté des demandes, récemment, visant à rendre l'organisation du travail plus souple. Peut-on le leur reprocher? Le principal secteur en négociation est le secteur Institutionnel, commercial et industriel (ICI), représenté par l'Association de la construction du Québec (ACQ).

Les patrons ont fait quatre demandes principales. D'abord, ils veulent que les employés soient payés à taux double après 48 heures de travail par semaine plutôt qu'après 40 heures. Entre 40 et 48 heures, ils proposent de majorer le taux de 50%.

Ensuite, en fonction des intempéries, ils demandent de pouvoir faire travailler les employés le samedi ou le dimanche à taux simple pour reprendre le travail perdu la semaine. En ce moment, ils sont payés à taux double. Enfin, ils veulent que certains chantiers puissent débuter à 5h30 et demandent d'avoir moins de contraintes pour faire travailler leurs employés à l'extérieur de leur région.

L'alliance syndicale trouve ces demandes inadmissibles. Ses dirigeants ont, de leur côté, une soixantaine de demandes pointues, à cinq jours de la date limite du 17 juin. Entre autres, ils veulent une prime pour se déplacer vers leur lieu de travail. Et ils demandent une augmentation salariale de 3,7% la première année, suivie de trois hausses annuelles de 3,0% par la suite.

Il est normal que les travailleurs veuillent améliorer ou maintenir leurs conditions, mais ils doivent être réalistes. Les belles années de la construction sont derrière nous. Le secteur industriel (aluminium, pâtes et papiers, mines) est sous pression en raison de la récession mondiale. Les dépenses gouvernementales dans les infrastructures ralentissent. Et le secteur résidentiel pâlit. Pour les travailleurs, une amélioration des conditions passe nécessairement par une organisation plus flexible.

Heureusement, il est prévu que les négociations du secteur ICI (60% de l'industrie) reprennent demain matin. Les deux camps doivent trouver un terrain d'entente parce qu'un arrêt de travail nuirait grandement à l'économie. «On est ouverts à négocier, mais il faut que ça vienne des deux côtés. On ne peut pas négocier tout seul», dit Yves Ouellet, directeur général de la FTQ-Construction.