La Ville de Laval est en voie d'être mise sous tutelle par le gouvernement du Québec à la suite des révélations explosives des derniers jours. Dans ce contexte, faisons le point sur l'un des éléments sensibles des enquêtes de la commission Charbonneau et de l'Unité permanente anticorruption (UPAC): le blanchiment d'argent.

Il existe diverses façons de blanchir des fonds. Dans sa publication du lundi 27 mai, Le Journal de Montréal soutient que l'ex-maire de Laval, Gilles Vaillancourt, aurait notamment eu recours à des mineurs pour faire transporter son argent comptant outre-mer, notamment en Suisse. Le Journal dit avoir recueilli cette information de trois bonnes sources policières, anonymes.

La nouvelle n'a pas été confirmée et elle pourrait faire partie de l'enquête de l'UPAC, le cas échéant. Selon le Journal, une quinzaine de millions de dollars pourrait avoir été blanchie, notamment de cette façon.

Il n'est pas impossible de blanchir des fonds en les faisant transporter en avion par une «mule», mineure ou non. À l'automne 2006, un banquier des Bahamas m'avait raconté que certaines personnes sont spécifiquement embauchées pour transporter de l'argent liquide hors du Canada. «Il y a un passeur grec en ce moment au Canada. Un gars qui met l'argent sur lui et qui le traverse en Grèce. J'essaie de l'amener ici, aux Bahamas», m'avait-il raconté.

L'opération est risquée, à moins de ne pas dépasser la limite autorisée de 10 000$ par personne, comme le soutient Le Journal de Montréal. Toutefois, avec cette limite de 10 000$, il faut être patient et aimer voyager.

Prenons l'exemple de 15 millions de dollars. Pour transporter tout cet argent à raison de 10 000$ par personne, il faudrait 1500 voyages Montréal-Suisse. Ou encore 300 voyages de 5 personnes, soit un voyage par semaine pendant 5 ans. Ça fait beaucoup de billets d'avion et de chambres d'hôtel!

Utiliser un avocat facilitateur

Non, la meilleure façon de blanchir des fonds est d'utiliser le compte en fidéicommis d'un avocat ou d'un notaire. Le compte en fidéicommis est en effet protégé par le secret professionnel des avocats (ou des notaires). Ce privilège rend confidentielles toutes les transactions entre les avocats et leurs clients, même aux yeux de la police, à moins d'exceptions strictes.

Pour blanchir des fonds, un homme d'affaires qui a un gros projet en Suisse, réel ou fictif, verse d'abord les fonds dans le compte en fidéicommis de son avocat, en toute confidentialité. Ensuite, les fonds sont transférés en Suisse dans le compte d'un autre avocat, celui de la deuxième partie présumée à la transaction, habituellement une entreprise coquille.

L'intervention de ce deuxième avocat rend doublement occulte le transfert de fonds. En effet, les fonds sont ainsi protégés par le privilège avocat-client des deux côtés de l'Atlantique. Enfin, une fois rendus en Suisse, les fonds peuvent être transférés par l'avocat sur place dans le compte de la partie ultimement intéressée, et le tour est joué.

Comme les deux avocats bénéficient du privilège, il est très difficile pour les autorités d'avoir les détails d'une affaire. Pour faire une perquisition chez un avocat, les policiers doivent convaincre un juge qu'ils ont des motifs sérieux de croire qu'un crime a été commis grâce à l'utilisation du compte de l'avocat, par exemple. Cette démonstration est d'autant plus compliquée à faire qu'il s'agit de blanchiment, structuré pour être indétectable.

Le juge peut accorder la perquisition du cabinet pour «exception de crime», que les méfaits aient été commis à la connaissance de l'avocat ou à son insu. Dans un tel cas, les documents saisis doivent être d'abord mis sous scellé. Certains de ces documents sont éventuellement rendus accessibles aux policiers après qu'un représentant du syndic du Barreau les a passés au crible et qu'il a retiré les documents confidentiels qui ne sont pas précisément reliés à l'enquête. Le problème, c'est qu'en matière de blanchiment, de nombreux éléments ne semblent pas, de prime abord, précisément reliés à l'enquête.

«Le crime organisé profite pleinement des avocats facilitateurs pour blanchir des fonds, explique un expert du milieu. Il s'agit probablement de la plus grande difficulté pour les enquêteurs. Les démarches en cour sont lourdes et fastidieuses, ce qui décourage les enquêteurs et les incite à consacrer leurs énergies ailleurs.»

Bien sûr, il est fondamental que notre système protège la confidentialité des relations entre les avocats et leurs clients, sans quoi ces clients n'oseraient plus rien confier à leurs avocats. Des gens mal intentionnés et des avocats complices se servent toutefois trop souvent de cette muraille pour commettre des crimes.