En affaires, la confiance est primordiale. Les parties engagées dans un projet auront beau tout prévoir, tout calculer et tout inscrire dans des contrats blindés, la confiance prime sur tout.

Mon fournisseur fera-t-il un boulot impeccable, livré à temps? Mon client paiera-t-il dans les délais? Mon banquier continuera-t-il de m'appuyer?

Pour un entrepreneur, la confiance placée dans ses partenaires fait partie des risques à gérer. Cette confiance se solidifie avec les années, mais elle peut s'effriter rapidement. Lorsque c'est le cas, l'effritement entraîne de l'incertitude, des délais et des coûts, des plaies que les entrepreneurs veulent fuir.

Les récents événements ont sérieusement ébranlé cette confiance dans le secteur de la construction. Quand de grands patrons admettent qu'ils ont participé à un stratagème criminel, quand des décideurs sont accusés de gangstérisme, quand ingénieur finit par rimer avec voleur, c'est toute cette structure de confiance qui est secouée.

Ce cataclysme touche tout le monde, de près ou de loin. «Ah ben tiens, c'est mon collègue de bureau à la télé», «Papa, pourquoi le voisin est dans le journal?» ou encore «As-tu vu ça à propos de François? Incroyable!» sont des phrases typiques.

L'impact économique de ce cataclysme n'est pas facile à mesurer, mais les gens du milieu le sentent. Récemment, un ingénieur (honnête) me racontait la lenteur des prises de décisions dans les municipalités et ses conséquences sur son organisation. Une avocate me disait à quel point les procédures de certification de l'AMF donnaient du fil à retordre aux entreprises.

L'épisode des nids-de-poule à Montréal est un autre bon exemple: craignant la grogne populaire, la Ville de Montréal s'est sentie obligée de faire un sondage avant d'octroyer le contrat à une entreprise citée par la commission Charbonneau. «Il y a bien des gens qui ont peur de prendre des décisions», me dit un entrepreneur.

Le président du Conseil du patronat du Québec (CPQ), Yves-Thomas Dorval, en convient: «Le processus d'octroi de certains contrats est beaucoup plus long, la paperasse, plus volumineuse. Le climat psychologique est un problème», dit-il.

M. Dorval donne l'exemple des entrepreneurs généraux, qui doivent s'assurer d'avoir des fournisseurs sans tache avant de soumissionner. Un processus qui alourdit les affaires.

Plusieurs diront que le milieu des affaires mérite ce qui lui arrive. En général, la population trouve dégoûtantes les révélations de la commission Charbonneau. Dans les chaumières, on accueille donc avec joie l'arrestation de Gilles Vaillancourt et de ses complices (et non avec tristesse, contrairement à ce qu'affirmait le maire suppléant Alexandre Duplessis, la semaine dernière).

Pour bien des gens, le constat est clair: une grande partie des gens d'affaires n'est pas digne de confiance.

Ce climat est malsain. Le Québec doit pouvoir préparer l'après-Charbonneau pour redorer le blason du milieu des affaires. Certes, la commission et les enquêtes sont un passage obligé qui n'arrive qu'une fois par génération. Certes, il faut s'assurer d'extraire les racines du mal, comme le disait mon collègue François Cardinal.

Mais en attendant, les événements ralentissent l'activité économique et font des victimes innocentes. Prenons les ingénieurs. Supposons qu'au bout du compte, 500 ingénieurs sont reconnus coupables de corruption ou de collusion, ce qui serait énorme. Or, ce groupe constituerait moins de 1% des 57 200 ingénieurs actifs de l'Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ). Ce 1% d'ingénieurs corrompus fait de l'ombre aux 99% qui sont honnêtes.

«Dans le contexte, les nouveaux délais pour faire des affaires sont nécessaires, [...] mais il ne faut pas tout stopper parce qu'on a peur de son ombre», dit Yves-Thomas Dorval.

Le président du CPQ croit que ce sont les entreprises du milieu qui doivent travailler à rétablir cette confiance avec le gouvernement. D'une part, il faut punir les individus fautifs et les sortir de l'industrie. D'autre part, lorsque c'est possible, il faut assurer la pérennité de ce qu'on appelle les personnes morales, soit les entreprises.

Pour ce faire, trois étapes doivent être suivies, croit M. Dorval. D'abord, les entreprises visées doivent faire un ménage éthique de leur organisation et se débarrasser des éléments indésirables.

Ensuite, elles doivent mettre en place des mécanismes qui leur permettent de détecter de nouveaux problèmes éventuels.

Enfin, les entreprises doivent envisager de retourner aux victimes les bénéfices empochés indûment avec la collusion, même si cette avenue est parsemée d'embûches juridiques. Et, bien sûr, elles doivent rendre public leur mea-culpa.