Il existe un certain nombre de vaches sacrées au Québec, soit des politiques socio-économiques, des principes ou des constats qui ne peuvent être discutés sans soulever des protestations, du cynisme, voire du scepticisme. La Presse fait le tour de cinq de ces tabous. Aujourd'hui: l'universalité des services.

Il y a des péages sur certaines routes aux États-Unis, en France et en Suède. Mais pas au Québec. Ou si peu: à part les nouveaux ponts des autoroutes 25 et 30, nos routes sont gratuites.

Le Québec est pourtant un amalgame de ces trois pays, soit une nation qui carbure à l'économie de marché, mais avec un fort accent social-démocrate. Le Québec a toutefois une particularité indélébile: les politiques sont souvent appliquées uniformément, aux riches comme aux pauvres, aux citadins comme aux gens en région, aux petits comme aux gros utilisateurs d'un service.

À Stockholm, plus grande ville de Suède, les autorités ont imposé un péage qui varie en fonction de l'heure à l'entrée comme à la sortie de la ville. Résultat: la circulation a diminué de 30%, et la ville s'en porte mieux.

Au Québec, de nombreux environnementalistes, généralement à gauche, se sont ralliés à l'idée du péage, jugeant qu'il réduirait la pollution et l'étalement urbain. Mais non, la route demeure accessible sans frais à tous, peu importe le niveau d'utilisation.

La route n'est qu'un exemple de notre obsession de l'universalité. En principe, l'universalité devrait être offerte pour permettre aux plus pauvres d'accéder simplement aux services de base essentiels, comme la santé et l'éducation préuniversitaire. Elle est en fait utilisée à toutes les sauces.

Les services de garde sont offerts aux mêmes tarifs pour tous, riches ou pauvres. Même chose pour les congés parentaux ou les droits de scolarité universitaires. Dans les municipalités, l'eau est souvent imposée au même taux uniforme pour tous, peu importe la quantité utilisée (arrosage, piscine, lavage de voitures, famille, etc.).

Même un produit on ne peut plus commercial comme le vin est au même prix partout. Une bouteille de Clos La Coutale coûte exactement le même prix à Sept-Îles qu'à Montréal, malgré les 900 kilomètres de transport. Par quel principe de justice sociale justifie-t-on qu'une bouteille soit vendue au même prix partout?

Parfois, l'universalité s'impose d'elle-même, question d'efficacité. Par exemple, dans les vieilles villes, l'implantation de compteurs d'eau dans chaque logement coûterait plus cher que les économies qui pourraient en résulter.

L'uniformité a toutefois des effets pervers. Quand un service est gratuit ou offert universellement au même tarif pour tous, il en résulte du gaspillage ou de l'inefficacité.

Il y a trois ans, un repas gratuit offert à l'équipe de hockey d'ados que je gérais s'est avéré révélateur. Comme il était payé par le fonds commun de l'équipe - et en apparence gratuit -, les joueurs ont commandé des repas gargantuesques, avec entrée, desserts et double boisson gazeuse. La serveuse a finalement jeté une quantité incroyable de bouffe ce jour-là. J'ai rajusté le tir par la suite.

Des salaires publics uniformes

La forte présence syndicale au Québec a accentué le vent d'uniformité, notamment en ce qui a trait aux salaires. Au gouvernement du Québec, par exemple, le salaire de tous les ingénieurs est fixé par la convention collective. Or, certains secteurs sont plus névralgiques.

Au ministère des Transports du Québec, par exemple, les ingénieurs au sommet de l'échelle y gagnent 81 400$. Dans le privé, leurs pairs touchent 110 700$, soit près de 30 000$ de plus. Conséquence: les meilleurs ingénieurs sont attirés vers le privé, avec des effets tragiques sur l'industrie, comme nous le montre la commission Charbonneau. Pas pour rien que le gouvernement veut créer une agence des transports comme il l'a fait pour l'Agence du revenu du Québec.

Phénomène semblable à l'université. Dans certains établissements, les salaires sont uniformes ou presque, peu importe le domaine d'enseignement. Par exemple, un professeur en lettres dans le réseau de l'Université du Québec fait le même salaire qu'un prof d'administration, soit environ 96 000$ (il s'agit des chiffres de 2009).

À l'Université McGill, où il n'y a pas de syndicat, l'écart salarial entre ces deux disciples est de 48 000$, le prof d'administration touchant en moyenne 138 100$.

Certains pourraient arguer qu'une politique salariale uniforme est plus équitable, plus facile à gérer et plus propice à une bonne ambiance de travail. Après tout, c'est la vocation qui compte, non? Et dans l'absolu, les profs de littérature n'ont pas une moindre valeur que les profs de finance ou de droit. Ils ont raison. Sauf que les départements de finance s'arrachent les cheveux pour concurrencer le privé et l'international. Ce n'est pas le cas en lettres.

Cette universalité à toutes les sauces a nécessairement des conséquences. La gratuité de la route favorise l'étalement urbain et la pollution. La gratuité de l'eau favorise le gaspillage. L'uniformité des salaires dans certaines universités crée des distorsions. En bout de piste, c'est toute la société qui écope.

En soi, l'universalité n'est pas nécessairement une mauvaise politique. Et la différenciation ne peut être appliquée partout. Mais en ces temps difficiles, où les gouvernements coupent partout indistinctement, moduler plutôt qu'uniformiser permettrait d'économiser et de faire des choix.

Ne manquez pas les quatre thèmes suivants de la série de Francis Vailles, de demain jusqu'à samedi, en exclusivité dans La Presse+

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Écarts de salaires, professseurs d'université (1)

[Lettres | Administration | Écart]

Université du Québec (2) : 95 711 $ | 95 750 $ | 39 $

Université de Montréal : 105 663 $ | 107 297 $ | 1 634 $

Université Laval : 104 462 $ | 110 036 $ | 5 574 $

Université McGill : 89 606 $ | 138 100 $ | 48 494 $

1- Il s'agit des salaires moyens de groupes homogènes de professeurs en 2009.

2- Réseau des universités du Québec.

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Écart de salaires des ingénieurs, construction (1)

Public provincial : 81 400 $

Public municipal : 94 000 $

Privé : 110 700 $

Écart privé-public prov. : 29 300 $

1- Il s'agit de la rémunération directe, qui inclut les primes, mais exclut les avantages sociaux.