Tout accusé a droit à un procès juste et équitable. S'il démontre qu'il a été traité injustement, même pour des peccadilles, il peut faire avorter le procès.

C'est ce qui explique que l'Autorité des marchés financiers (AMF) et les juges marchent sur des oeufs avec l'affaire Mount Real depuis sept ans. La moindre contestation de l'accusé Lino Matteo est prise en considération. La moindre affirmation est jugée avec mérite. L'homme est pris avec grande déférence par le tribunal, même si tout indique qu'il a fraudé 1600 investisseurs et fait disparaître 130 millions.

Hier, la juge Hélène Morin a rejeté une énième requête de Matteo, celle qui tentait de faire démettre les trois avocats externes de l'AMF pour conflit d'intérêts. L'homme prétendait qu'un des avocats, Jean Asselin, était en conflit d'intérêts parce qu'il travaille depuis peu pour un cabinet dont l'ancêtre a reçu un mandat de quelques semaines de Mount Real il y a huit ans.

Pour montrer patte blanche, le cabinet en question, Stein Monast, a dû, à quelques jours d'avis, déposer des déclarations assermentées des 64 avocats de la firme. Chacun d'entre eux précise n'avoir jamais travaillé ni eu accès aux informations du dossier Mount Real, ni aux dossiers des cinq dirigeants accusés.

Une fois la requête rejetée, hier matin, Matteo a appliqué son plan B. Ou peut-être devrait-on l'appeler son plan F ou G. Cette fois, Matteo invoque que le procès devrait avorter parce que ses droits ont été brimés par des délais déraisonnables. Le hic, c'est que plusieurs de ces délais sont attribuables à lui ou à ses conseillers.

Depuis 2005, ils ont contesté la nomination du syndic de faillite de Mount Real, contourné les ordonnances de blocage du tribunal, contesté les perquisitions de l'AMF et remis en question l'impartialité des juricomptables. Matteo s'est également plaint de son incapacité à comprendre l'amoncellement de documents de preuves de l'AMF, qui ont pourtant été saisis dans ses anciens bureaux, pour l'essentiel.

En 2010, Matteo a fait ce qui était impensable. Son avocate, Claudine Murphy, demandait au tribunal de cesser de le représenter. Devinez quoi: Matteo a contesté la requête de Me Murphy, cherchant à forcer son avocate à continuer de le représenter contre son gré!

Toutes ces contestations ont été rejetées, mais elles ont eu pour effet de reporter l'ultime procès; des délais que Matteo invoque maintenant pour se défendre. Il perdra cette fois encore, aucun doute, et passera au plan H: une requête pour l'exclusion d'une partie importante de la preuve.

Bien sûr, pendant tout le processus, Matteo invoque son droit à avoir un procès en anglais. Comme deux des avocats externes de l'AMF s'expriment en français, chaque tranche de quatre mots des avocats est traduite dans la langue de monsieur. Bienvenue les maux de tête!

Hier, l'un des trois avocats externes de l'AMF a poliment fait valoir que les délais invoqués par Matteo lui sont essentiellement attribuables. Et il s'est affairé à démontrer, quatre mots traduits à la fois, en quoi la jurisprudence complexe contredit les prétentions de Matteo.

Une des séries de questions de l'avocat Stéphane Poulin a mis au jour une des contorsions de Matteo. Il lui a demandé s'il reconnaissait que l'Ordre des comptables en management accrédités (CMA) l'avait radié pour des infractions liées au dossier de Mount Real. Matteo a répondu ne pas s'en souvenir, n'ayant pas été présent devant le Conseil de discipline.

- Le jugement ne vous a-t-il pas été signifié?

- Possible, mais je ne l'ai pas lu.

- Ne l'avez-vous pas porté en appel devant le tribunal des professions?

- Eee... je ne me rappelle pas s'il y a eu appel ou non.

Dans les faits, le comité de discipline de l'Ordre des CMA a jugé que Matteo avait perpétré une arnaque en maquillant les états financiers de ses entreprises. «Malgré les énormes pertes qu'il a provoquées chez les centaines d'épargnants, l'intimé continue de confondre ses rêves avec la réalité [...]. Il démontre qu'il n'a aucun remords et qu'il est prêt à recommencer n'importe quand; l'intimé est un danger pour le public», écrit le comité.

Cette affaire est devenue une insulte pour les victimes et un gouffre financier pour les contribuables. Vivement que le vrai procès commence. L'AMF estime qu'il lui faudra 10 mois...