Sept ans et cinq mois avant que le procès commence. Sept ans à attendre que l'homme qui leur a fait perdre 130 millions, Lino Matteo, soit traduit devant un tribunal. Hier, enfin, c'était le grand jour pour les 1600 investisseurs floués, la plupart très âgés.

Mais attendez, pas si vite: Matteo est peut-être en train de réussir à retarder encore considérablement le procès. La semaine dernière, le roi des combines a déposé une requête demandant que les trois avocats externes de l'Autorité des marchés financiers (AMF) soient démis de leurs fonctions pour conflits d'intérêts.

Matteo avait tenté un coup semblable l'an dernier concernant les comptables Deloitte&Touche et Navigant, mais il avait mordu la poussière. Cette fois, il est possible qu'il réussisse son coup, au grand dam des investisseurs découragés.

Avec le temps qui passe, ces investisseurs ont perdu toute confiance en la justice. C'est que Matteo a contesté minutieusement chacune des étapes de l'affaire depuis que l'AMF a fermé Mount Real, en novembre 2005. Pendant ce temps, les scandales de Norbourg et d'Earl Jones ont été menés rondement. Vincent Lacroix a même terminé sa peine de prison, bien qu'il ait été bloqué lui aussi en 2005 par les autorités.

L'affaire Mount Real est autrement plus complexe, faut-il dire. L'AMF a plus de 230 témoins à faire comparaître durant le procès, qui pourrait durer 10 mois. Quelque 2,2 millions de documents ont été produits en preuve. Et Matteo fait par ailleurs l'objet d'un recours collectif des investisseurs et il est accusé au criminel dans une affaire connexe, soit le scandale Cinar-Norshield. Bref, l'affaire occupe bien des avocats de Montréal.

Dans sa nouvelle requête, Matteo soutient que l'un des trois avocats, Jean Asselin, est clairement en conflit d'intérêts. En septembre dernier, il a été embauché par une firme, Stein Monast, dont l'ancêtre avait représenté Mount Real en 2005 lorsque La Presse avait fait éclater le scandale. Autrement dit, Me Asselin a pu prendre connaissance de renseignements confidentiels fournis par Mount Real à l'époque et il est aujourd'hui en conflit d'intérêts en représentant l'AMF.

Matteo affirme que les deux autres avocats avec qui Me Asselin fait équipe risquent d'avoir été contaminés et qu'ils doivent être démis eux aussi. Il s'agit de Stéphane Poulin, de la firme Bédard Poulin, et Suzanne Costom, de Shadley Battista.

Ces avocats ont travaillé des centaines d'heures sur cette affaire et il ne serait pas simple pour l'AMF de les remplacer. Jean Asselin, par exemple, représente l'AMF depuis les premières perquisitions de novembre 2005 et connaît l'affaire sur le bout des doigts.

Hier, l'avocat de Matteo a exhibé le mandat de représentation donné en 2005 à Desjardins Ducharme Stein Monast (DDSM). Jean Asselin soutient ne pas avoir souvenir d'un tel document. Il dit ne jamais avoir su que DDSM a pu représenter Mount Real contre l'AMF.

L'associé-directeur de Stein Monast, Jean Brunet, a également témoigné. Stein Monast, de Québec, est une nouvelle société, dit-il. L'ancienne Stein Monast fusionnée à Desjardins Ducharme a disparu après la liquidation de Desjardins Ducharme Stein Monast, en 2007.

Et de toute façon, les dossiers de Québec de Stein Monast, d'une part, et ceux de Montréal de Desjardins Ducharme, d'autre part, étaient distincts, explique-t-il. Aucun des 54 avocats actuels de sa firme n'a eu connaissance du mandat de Mount Real, dit-il. Des déclarations assermentées seront déposées par les avocats.

Tout de même, Jean Asselin a reconnu s'être fait demander par Matteo en septembre dernier si son nouvel employeur avait déjà été affilié à Desjardins Ducharme. La juge Hélène Morin a demandé à Me Asselin si cette question n'avait pas suscité des réflexions (sur la possibilité d'un conflit d'intérêts). «Je ne savais pas que DDSM avait été impliqué. Avoir su, j'aurais refusé l'offre de me joindre à Stein Monast», a-t-il dit.

En somme, le procès pourrait ne tenir qu'à un fil. La juge tranchera lundi. «J'espère que la juge va pencher en notre faveur. Sinon, nous allons réagir. C'est trop long, c'est ridicule», a dit la représentante des investisseurs, Janet Watson.

Matteo a aussi déposé une requête pour faire annuler le procès pour cause de délais déraisonnables, mais comme il est responsable d'une bonne partie de ces délais, il serait surprenant que la juge lui donne raison à ce sujet.

Pour le reste, la culpabilité de Matteo soulève peu de doutes. Vingt-trois des 24 vendeurs des billets à ordre de Mount Real - un produit qui devait donner 8 à 12% de rendement - ont été reconnus coupables. L'ex-chef des finances, Paul D'Andrea, a viré sa veste et admis que Matteo a trafiqué les états financiers. Le tribunal vient de lui imposer des amendes de 655 000$.

Pour sa part, Matteo fait face à 308 chefs d'accusation et il est passible de cinq ans de prison. Trois autres dirigeants subiront leur procès après Matteo.

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Procès de Lino Matteo, de Mount Real

Qui: PDG de Mount Real

Quoi: 1600 investisseurs ont perdu 130 millions

Quand: l'entreprise a fait faillite en 2006

Durée prévue du procès: 10 mois

Nombre de témoins de l'AMF: 232