Question existentielle aujourd'hui. Pas au sujet des étudiants, mais à propos des bulles boursières, des multinationales et de l'impact de leurs décisions sur les emplois à Montréal et au Saguenay.

Mercredi, le Wall Street Journal a qualifié l'acquisition d'Alcan par l'anglaise Rio Tinto en 2007 de pire décision de l'histoire des mines et métaux. Une catastrophe.

Alcan a été achetée presque au sommet du prix des métaux. Rio Tinto a payé 38 milliards US en s'endettant. Par la suite, le prix de l'aluminium a plongé, Alcan a fait moins de profits, mais Rio Tinto est restée coincée avec sa dette. Et devinez la suite: des coupes importantes pour repayer la dette, au détriment des employés et des fournisseurs.

Jeudi, le nouveau PDG de Rio Tinto, Sam Walsh, a dit qu'il fallait encore des compressions 900 millions chez Alcan d'ici la fin de 2014 et réorganiser l'entreprise.

D'où ma question: si des entreprises comme Alcan n'étaient pas vendues dans l'euphorie d'une bulle, l'économie serait-elle en meilleure santé?

Normalement, la théorie veut que le jeu soit à somme nulle, puisque les actionnaires d'Alcan qui ont vendu se sont enrichis de la même façon que ceux de Rio Tinto se sont appauvris. Entre les deux, les employés et les fournisseurs peuvent écoper au Québec, mais ceux des concurrents ailleurs sur la planète sont gagnants. Partie nulle.

Mon hypothèse, c'est que le jeu n'est pas à somme nulle. Que l'économie souffre de ce genre de transactions. Que l'entreprise Alcan aurait eu plus de fonds à investir dans la recherche, comme la technologie AP-60, si Rio Tinto n'avait pas eu autant de dettes à rembourser. Et que, par conséquent, un plus grand volume d'aluminium aurait été produit soit à meilleur coût soit en polluant moins, puisque ce sont les concurrents chinois et russes, avec leur énergie polluante au charbon, qui en ont profité.

Certes, le remboursement de la dette n'explique pas tout. La faiblesse de la demande pour l'aluminium et la surabondance de l'offre, notamment de la Chine, sont en bonne partie responsables de la chute des profits d'Alcan, dit M. Walsh.

Mais le cas d'Alcan n'est pas unique: à toutes les bulles, des dirigeants excités sont poussés à faire des transactions ruineuses, qui entraînent par la suite des coupes indues et l'effritement de structures mises en place de longue date. Pensez à Téléglobe, en 1999, qui a pratiquement disparu après la transaction de Bell Canada.

La plupart du temps, ces transactions ruineuses ne sont pas réalisées par des entrepreneurs, qui ont soigneusement bâti leur entreprise, comme Couche-Tard ou CGI. Elles sont le fait d'entreprises dirigées par des gestionnaires, dont l'échec a peu de conséquences personnelles.

«Est-ce que la structure réelle de production serait plus efficace sans les bulles? La question est intéressante, mais difficile à répondre», dit l'économiste François Vaillancourt, de l'Université de Montréal.

Michel Magnan, de l'Université Concordia, s'interroge également. «La structure de gouvernance des entreprises est peut-être coupable. Il y a aussi la pression des investisseurs institutionnels en Bourse, comme les caisses de retraite, pour augmenter le rendement à court terme au détriment du long terme», dit-il.

La question est importante parce qu'elle pourrait justifier une intervention des gouvernements, comme ce fut le cas pour la transaction Potash en Saskatchewan. L'intervention de l'État ne serait pas seulement justifiée pour l'économie locale, mais pour l'intérêt économique global. Difficile toutefois de savoir quand le marché entraîne ce genre de distorsions.

En attendant, la direction locale d'Alcan se dit confiante que les démarches entreprises en 2012 avec les employés seront suffisantes pour atteindre les coupes de 900 millions. On verra.

Les banques et les étudiants

Je me suis un peu trompé sur l'affaire Parizeau. Mais attendez, les vrais chiffres sont pires.

Comme bien des groupes pro-étudiants, Jacques Parizeau a suggéré de puiser dans les poches des institutions financières pour financer la gratuité. Pour ce faire, il a proposé de réintroduire la taxe sur le capital abolie entre 2007 et 2011, qui rapportait alors environ 600 millions, a-t-il dit.

Mercredi, j'ai écrit que les 600 millions ne sont plus disponibles, puisque le Québec impose les institutions autant qu'avant, mais autrement. C'est inexact: elles paient aujourd'hui PLUS d'impôts qu'à l'époque, toute proportion gardée.

En 2006, l'ensemble des «sociétés financières» payait précisément 737 millions de taxes sur le capital. De cette somme, la taxe sur les primes d'assurances, de 375 millions, n'a jamais été abolie. Il reste donc seulement 362 millions pour la gratuité, une politique qui coûterait 700 millions.

Or, quand le gouvernement a aboli la taxe sur le capital, il a du même coup augmenté la taxe sur les profits pour compenser. Le taux est passé de 8,9% à 11,9%, ce qui a permis au gouvernement de récupérer 360 millions. Disparu, l'argent pour la gratuité.

Ce n'est pas tout. L'an dernier, avec l'harmonisation de la TPS et de la TVQ, le Québec a convenu d'abolir la taxe compensatoire de 210 millions. Cette taxe était imposée pour récupérer des remboursements de taxes annuels (RTI) que les institutions recevaient de façon inappropriée.

Avec la TPS-TVQ harmonisée, les institutions ne reçoivent plus les RTI de 210 millions, mais savez-vous quoi: le Québec continue de percevoir la taxe compensatoire, déficit zéro oblige.

En somme, non seulement n'y a-t-il plus d'argent pour la gratuité, mais les financières sont davantage imposées qu'avant, d'environ 210 millions.

Disons les choses comme elles sont: la gratuité devrait être financée par de nouveaux impôts. Si le gouvernement cible encore les institutions, ce sera le plus gros acteur au Québec, Desjardins, qui absorbera le plus gros de la facture. Or, la coopérative devra en contrepartie réduire les ristournes versées à ses 5,6 millions de membres, pour la plupart des Québécois.