Au début de la rencontre, le PDG de la Caisse de dépôt, Michael Sabia, l'admet d'emblée: c'est la première fois qu'il convoque des journalistes pour discuter de stratégie. Au menu, pas d'annonces d'acquisitions, pas de vente, pas de mises à pied, seulement des questions de stratégie.

Bon, me suis-je dit, à défaut de nouvelles, profitons-en pour consolider nos relations avec la Caisse. Il faut dire que je n'ai pas toujours été dans les bonnes grâces de l'institution avec mes reportages parfois embarrassants, comme celui sur les deux cadres unilingues anglophones réalisé à la fin de 2011 avec mon collègue André Dubuc.

En fin de compte, la discussion de plus d'une heure s'est révélée fort intéressante. Essentiellement, avons-nous appris, la Caisse de dépôt et placement du Québec veut s'inspirer du magicien Warren Buffett pour faire de l'argent, en quelque sorte.

Michael Sabia et ses adjoints Roland Lescure, chef des placements, et Bernard Morency, chef de l'exploitation, ont expliqué comment et pourquoi la Caisse adopte un changement de culture en matière de placements.

La «gestion en absolu»

La nouvelle approche pour une partie du portefeuille, baptisée «gestion en absolu», ressemble à la méthode de Buffett, ce milliardaire d'Omaha adulé par ses pairs pour ses rendements fabuleux. Buffett, rappelons-le, a misé à long terme sur des entreprises de grande qualité, dont les activités sont tangibles.

Actuellement, la plus grande partie du portefeuille de la Caisse est gérée selon un rendement relatif, c'est-à-dire un rendement qui est comparé quotidiennement à celui des indices de références, comme l'indice de la Bourse TSX ou le S&P 500. Dans ces portefeuilles, la Caisse est active tous les jours. Elle fait bien si elle bat les indices, que les rendements soient positifs ou négatifs.

Dans son nouveau portefeuille en gestion absolu, la Caisse veut plutôt investir dans des titres de grande qualité à long terme, par exemple 5 à 10 ans. Pas question de vendre durant cette période. La Caisse veut consacrer 10% de son portefeuille à cette «gestion en absolu» d'ici la fin de 2014, soit environ 16 milliards de dollars.

Portefeuille Action Qualité mondiale

Pour ce faire, l'organisation a créé un portefeuille Action Qualité mondiale, qu'elle offre à ses déposants depuis le début de janvier. Parmi les titres qui s'y trouvent déjà, mentionnons Nestlé, Procter&Gamble, Qualcomm ou CN, par exemple.

La Caisse de dépôt, faut-il le rappeler, fait ses placements en fonction des exigences de ses déposants que sont la Régie des rentes du Québec, les caisses de retraite des fonctionnaires (RREGOP et autres) et les caisses des employés de la construction, notamment. Ce sont ces déposants qui pondèrent les placements de la Caisse en fonction de leurs besoins.

L'an dernier, Bernard Morency a donc eu une plusieurs rencontres avec les déposants au sujet de la nouvelle approche et le fonds a été lancé en janvier.

Une approche nécessaire

Selon Michael Sabia, cette approche est nécessaire pour diverses raisons. D'abord, au cours des prochaines années, les rendements des titres à revenus fixes (obligations, etc.) seront plus faibles qu'ils ne l'étaient en raison de la hausse des taux. Ensuite, les rendements obtenus avec différents produits ou dans divers pays sont de plus en plus corrélés, c'est-à-dire qu'ils vont dans le même sens. Or, l'objectif de tout gestionnaire comme la Caisse est de diversifier son risque en achetant des produits aux rendements distincts.

Le fonds Action Qualité mondiale devrait avoir des rendements moins spectaculaires quand les marchés sont en hausse, selon M. Sabia, mais devrait aussi chuter moins fortement quand le marché est baissier.

Dans cette mouvance du long terme, la Caisse fera également passer de 25 à 30% d'ici la fin de 2014 ses investissements dans des actifs moins liquides que sont les placements privés, les infrastructures et l'immobilier. En somme, à la fin de 2014, les investissements strictement à long terme constitueront 40% de l'actif global de la Caisse.

La création du fonds Action Qualité mondiale a diverses conséquences, cependant. D'abord, de petites firmes de placement externes ont perdu leurs mandats de gestion, que la Caisse a rapatriée avec son nouveau fonds.

Ensuite, il sera difficile de savoir si la Caisse a obtenu de bons résultats ou non avec son fonds parce qu'il n'existe pas vraiment d'indice de comparaison. À long terme, certes, le fonds Action Qualité mondiale devra obtenir de meilleurs résultats que les indices boursiers, mais d'ici là, il faudra essentiellement faire confiance à la Caisse.

Enfin, un tel engagement à long terme envers les entreprises pourrait inciter la Caisse à intervenir davantage quand les choses tournent mal, comme ce fut le cas de Rona.

Michael Sabia fait toutefois valoir que la Caisse ne sera jamais un actionnaire «activiste», qui mise sur le court terme, mais un gestionnaire actif, qui pourrait militer pour des changements avec un objectif de rendements à long terme.