Un Québécois qui ne suit pas l'actualité de trop près aura certainement déduit, à voir les réactions indignées des politiciens de notre capitale nationale, que le Québec a subi toute une raclée dans le budget fédéral de mercredi.

Les ministres du gouvernement Couillard, joignant les gestes et les expressions faciales à la parole, ont dit que le gouvernement était « extrêmement déçu et préoccupé » du budget Morneau. L'Assemblée nationale a même voté une motion unanime, avec l'abstention des deux députés de Québec solidaire.

Mais que s'est-il donc passé ? À quelle turpitude le gouvernement fédéral s'est-il abaissé ? On a surtout reproché au budget du ministre Bill Morneau son absence d'engagement formel à soutenir les trois projets de transports en commun auxquels tient le gouvernement du Québec - le REM, le prolongement de la ligne bleue du métro de Montréal et le service rapide par bus de Québec.

Il est vrai que le budget fédéral ne formule pas d'engagements précis et chiffrés. Mais ce budget, fort sur les bonnes intentions et avare de détails, reste vague pour toutes les idées, tous les projets, toutes les provinces. Pourquoi l'indignation à Québec et pas ailleurs ?

C'est, à mon avis, une manifestation d'un folklore dont nous sommes prisonniers, où les relations avec Ottawa doivent respecter des codes, même si ce n'est pas toujours rationnel.

Ça se manifeste, entre autres, par une tendance à décoder les décisions du gouvernement fédéral à travers l'unique prisme des rapports Ottawa-Québec.

On a vu les silences du budget comme de l'hostilité ou de l'indifférence à l'égard des projets de transports en commun québécois, même si toutes les provinces ont été traitées de la même façon. On avait aussi interprété l'ultimatum d'Ottawa en santé comme une offensive anti-Québec même si toutes les provinces ont subi le même sort.

Pourtant, ce budget dit assez clairement que la Banque de l'infrastructure investira dans le REM. « La Banque investira au moins 5 milliards dans les réseaux de transports en commun. On prévoit que d'ambitieux projets de transports en commun transformeront les villes du Canada au cours des dix prochaines années. » Le budget en cite cinq, dont le REM. Ce n'est pas un chèque à la poste, mais cette formulation, tout comme les messages des représentants d'Ottawa au gouvernement du Québec, indique que les intentions fédérales sont claires.

Pourquoi être fâché, alors ? Parce que les autres projets ne sont pas là. L'arithmétique est simple. Si le REM obtient un 1,2 ou 1,3 milliard sur une enveloppe de 5 milliards destinée aussi aux autres provinces, il ne reste plus d'argent. Le premier ministre Trudeau a d'ailleurs dit en substance que l'argent est sur la table, mais que c'est à Québec de déterminer quel sera son projet prioritaire.

D'où la réaction de Philippe Couillard : « Ce que j'ai un peu entendu, ce matin, et peut-être que j'ai mal compris, c'est que les trois projets sont bien, mais il faut que le Québec en choisisse un... non, non, non ! On veut les trois projets, puis on veut Ottawa dans les trois projets. »

On retrouve ici une autre caractéristique de nos rapports fédéraux-provinciaux. Québec traite Ottawa comme il déteste qu'on le traite lui-même.

M. Couillard dit : « Voici nos projets, payez ! », sans tenir compte des contraintes financières du gouvernement fédéral ou de ses autres obligations. Le Québec peut trouver que le gouvernement central ne consacre pas assez de ressources aux transports en commun, mais c'est un débat qui se traite autrement que par des motions à l'Assemblée nationale.

La réaction de M. Couillard est d'autant plus étrange qu'il demande à Ottawa de s'engager formellement sur un projet, la ligne bleue, qui n'est pas encore sur la table à dessin et que le Québec n'a pas encore enclenché !

En plus, juste en haut du passage sur le REM, le budget parle d'une autre enveloppe : « Afin de soutenir la prochaine phase de projets ambitieux dans le domaine du transport en commun, le gouvernement investira 20,1 milliards sur 11 ans dans le cadre d'accords bilatéraux avec les provinces et les territoires. » C'est vague, mais pas plus que le projet de ligne bleue.

Pourquoi alors l'indignation ? Parce que ça fait partie de la description de tâches d'un premier ministre québécois d'être fâché contre Ottawa.

C'est encore plus important pour un gouvernement libéral qui veut marquer des points auprès de l'électorat francophone.

Peut-être pour mettre de la pression sur le gouvernement Trudeau, qui a fait preuve de lenteur et d'indécision depuis un an. Mais est-ce que quelqu'un croit que les grandiloquentes motions unanimes de l'Assemblée nationale, dont on a abusé, font peur à qui que ce soit ?