Depuis des années, une guerre fait rage entre des économistes et des politiciens que l'on peut qualifier, faute de mieux, d'être plus à droite et ceux qui sont plus à gauche.

Dans le coin droit, en utilisant la mesure classique du niveau de vie, le produit intérieur brut (PIB) par habitant, on affirme que le Québec se classe parmi les derniers en Amérique du Nord. Le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, rappelle souvent que le Québec est au 57e rang des 10 provinces canadiennes et 50 États américains. L'économiste Robert Gagné, du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal, utilise ces chiffres.

Dans le coin gauche, on utilisera plutôt des mesures plus proches du plancher des vaches, comme le revenu des familles, pour montrer qu'en tenant compte du coût de la vie, des transferts, les Québécois, individuellement, s'en tirent assez bien. Jean-François Lisée, avant son entrée en politique, avec des calculs créatifs, avait même affirmé que les Québécois étaient plus riches que les Américains. L'économiste Pierre Fortin a contribué à ce courant.

Mon collègue Francis Vailles semble avoir apporté de l'eau au moulin de cette dernière thèse, lundi, avec des calculs très intéressants montrant que le revenu médian des familles québécoises, corrigé pour le coût de la vie, les mettait en milieu de peloton nord-américain : 31e sur 61.

Qui a raison ? Tout le monde. Tout simplement parce qu'on ne parle pas de la même chose. Ces mesures ne s'opposent pas, elles se complètent, et elles sont toutes deux nécessaires pour nous donner un portrait juste de la situation québécoise.

Le débat provient en bonne partie d'une confusion sémantique. Le PIB, on le sait, c'est le volume de production nette d'une économie dans une année, sa production de richesse. On divise cette somme par le nombre de citoyens pour pouvoir comparer entre elles des économies de tailles différentes, ce qui donne le PIB par habitant. Le problème, c'est qu'on ne devrait pas appeler ça le niveau de vie, parce que ça laisse entendre qu'on a mesuré les conditions de vie des gens ou leur bien-être.

En fait, le PIB par habitant n'est rien d'autre qu'une mesure de production. Ces chiffres nous disent que l'économie québécoise produit moins de richesse que la plupart des économies américaines, qu'elle est moins performante, plus pauvre.

Mais cela ne nous dit pas que les Québécois, individuellement, sont plus pauvres. D'abord, parce que cette mesure globale ne tient pas compte de la répartition des revenus. En outre, elle peut être gonflée sans que cela ait une répercussion sur la vie des gens, comme la production pétrolière qui, sur papier, rend Terre-Neuve-et-Labrador plus riche que le Québec.

Les mesures du revenu décrivent mieux le sort des gens. Elles tiennent compte du salaire, des diverses formes de revenus, et aussi des transferts, si importants au Canada pour les familles et les plus pauvres. Le Québec figure mieux dans les comparaisons, notamment parce que le filet de sécurité sociale est moins solide aux États-Unis, le taux de pauvreté, plus élevé, le salaire minimum, souvent plus bas.

Les corrections pour le coût de la vie qui, selon la recherche de mon collègue, permettent au Québec de passer du 46e au 31e rang, ont cependant quelque chose de circulaire. Le coût de la vie est bas au Québec, surtout à cause du logement. Pourquoi ? Parce qu'avec notre économie moins forte, le prix des propriétés est plus bas. Bref, on a moins d'argent dans nos poches, mais comme la vie est moins chère ici, on n'est pas si mal.

Le fait que nous soyons moins riches, on le voit mieux en comparant le Québec à des sociétés qui lui ressemblent plus, en commençant par les autres provinces. Au sein du Canada, le Québec se retrouve au 7e rang des provinces pour son PIB par habitant, au 10e pour le revenu personnel disponible, au 7e rang pour le salaire hebdomadaire, au 7e pour le revenu des familles. Toujours juste un peu au-dessus des trois provinces maritimes. N'y a-t-il pas là une anomalie ?

Même résultat quand on compare le PIB par habitant du Québec à celui des pays de l'OCDE, dont plusieurs ont un taux de pauvreté inférieur au nôtre et une répartition des revenus plus juste. Le Québec serait au 20e rang, derrière tous les pays auxquels il veut se comparer. Pourquoi les Pays-Bas dépassent le Québec de 32 %, et le Danemark, de 26 % ?

C'est là que la complémentarité des deux types de données prend son sens. Si le Québec avait un niveau de production comparable à celui d'autres sociétés qui lui ressemblent, le revenu de ses citoyens serait plus élevé, le potentiel fiscal plus grand, les ressources collectives plus abondantes.

Je comprends bien qu'on ne veut pas sombrer dans l'autoflagellation. Mais on court plus de dangers avec l'autosatisfaction, parce qu'elle nous encourage à esquiver une question quand même importante. Pourquoi le Québec, avec ses ressources et ses talents, n'arrive pas à faire mieux ?