La semaine dernière, le secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Angel Gurria, de passage dans la métropole dans le cadre de la 22e Conférence de Montréal, a félicité le Canada pour les mesures de relance du premier budget du gouvernement Trudeau.

« Le Canada est un bon exemple d'un pays qui prend les bonnes mesures afin de briser la spirale de faible croissance économique », a-t-il déclaré alors qu'il présentait, accompagné du ministre fédéral des Finances, Bill Morneau, l'étude sur le Canada réalisée par son organisme. Inutile de dire que le ministre était ravi.

Mais ces félicitations risquent de laisser un certain nombre de gens assez perplexes. Comment se fait-il que l'OCDE, tout comme le Fonds monétaire international, après avoir poussé pendant des années les pays à retrouver l'équilibre budgétaire et prôné les vertus de la rigueur, félicite maintenant un pays qui choisit sciemment de créer un important déficit budgétaire ?

Et si on se place dans le contexte canadien, comment peut-on à la fois applaudir la stratégie fédérale, qui consiste à dépenser massivement pour stimuler l'économie, avec le déficit qui vient avec, et féliciter le gouvernement Couillard pour avoir poursuivi sans flancher ses efforts pour éliminer son propre déficit ? Pourquoi les politiques de relance seraient bonnes pour Ottawa et pas pour Québec ?

Parce qu'il ne doit pas y avoir de dogme. Du genre être à droite, c'est être contre les déficits et être à gauche, c'est être pour. Il n'y a pas de loi absolue. Dans une perspective économique, le déficit est un outil, souhaitable dans certaines circonstances et néfaste dans d'autres cas.

On ne se demande pas quelle doit être la vitesse idéale d'une automobile. Tout dépend du type de route, du trafic, des conditions météorologiques, des aptitudes du conducteur. S'il y a une règle, c'est que la vitesse doit être assez basse pour que le véhicule puisse arrêter lorsqu'il y a un problème ou un obstacle.

Pour les politiques budgétaires, c'est pareil. La règle générale, dans la tradition keynésienne, veut que l'on recoure aux déficits pour stimuler l'économie en période de ralentissement, mais qu'à l'inverse, on doit viser des surplus budgétaires en période de croissance, en cherchant un certain équilibre entre les périodes de surplus et de déficit.

Si des organismes internationaux ont pu sembler se contredire, c'est en partie parce qu'on compare des déclarations faites dans des circonstances très différentes. Quand la crise financière a frappé en 2008 et qu'elle a plongé le monde dans la récession, la seule préoccupation, c'était de tout faire pour éviter de plonger dans une dépression : repartir le crédit, assouplir au maximum les politiques monétaires, injecter massivement des fonds publics pour relancer l'économie, en acceptant les déficits que cela engendrait.

Mais quand on a réussi à surmonter ce choc initial, plusieurs pays se sont retrouvés dans une situation financière très difficile - et dans certains cas en faillite. Les priorités ont changé. Il fallait que les États évitent de sombrer en crise financière, qu'ils changent de vitesse et travaillent au retour à l'équilibre. Ce nouveau discours comportait deux faiblesses. D'abord, dans certains cas extrêmes, comme la Grèce, l'austérité a engendré un cercle vicieux. Ensuite, cette logique reposait sur la conviction que la croissance économique reviendrait d'elle-même, comme c'est le cas après une récession normale. Ce n'est pas arrivé, parce que cette crise nous a menés dans des eaux inconnues.

Nous sommes maintenant dans une troisième période, où la crise est terminée, mais où ses séquelles se font encore sentir, notamment avec l'espèce de torpeur actuelle de l'économie mondiale. Et c'est ce qui pousse l'OCDE à favoriser toutes les initiatives qui permettraient à l'économie de sortir de ce qu'elle qualifie d'atonie, et donc de saluer les efforts canadiens.

Mais l'organisme n'en fait pas une recette universelle. « Les pays qui ont une marge de manoeuvre budgétaire devraient doper la croissance par le biais des dépenses publiques », soulignait l'OCDE dans une étude sur l'Europe.

Et c'est ça la différence entre le Québec et le Canada. Le Canada est relativement peu endetté, il était rendu au déficit zéro au moment de la victoire libérale. Il peut donc se permettre un déficit sans compromettre sa santé financière, surtout si les dépenses qu'il ajoute ne le mettent pas dans une situation de déséquilibre dont il ne pourrait plus se sortir.

Le Québec, par contre, a une dette extrêmement élevée. En outre, non seulement était-il jusqu'à l'an dernier en situation de déficit, mais ses finances publiques souffraient d'un déséquilibre structurel qui n'existe pas au fédéral, avec des dépenses qui augmentent systématiquement plus vite que ses revenus. Et c'est ça qu'il fallait régler, pour que le Québec puisse retrouver lui aussi une marge de manoeuvre.

Ce qu'il faut retenir, c'est que le dosage, le rythme, la définition de ce qui est un déficit acceptable sont une question de jugement, qui dépendra aussi des colorations idéologiques. Mais il n'y a pas de recettes universelles applicables en toutes circonstances.