Ce n'est pas seulement à l'Assemblée nationale que l'on se laisse aller aux excès de langage. On en a un autre exemple dans la croisade de la CSN contre les politiques du gouvernement Couillard à l'égard des services de garde, à laquelle se sont associées plusieurs personnalités et vedettes, dont l'ex-première ministre Pauline Marois. La CSN parle de « saccage dans les services de garde éducatifs à l'enfance ». Le mot démantèlement revient également souvent.

« M. le premier ministre, vous avez entre les mains un véritable joyau, ce sont nos centres de la petite enfance et nos ressources de garde en milieu familial », a ainsi lancé Mme Marois dans une courte vidéo diffusée par la centrale syndicale, « M. le premier ministre, ne les laissez pas tomber ! »

Je serais le premier à dénoncer le saccage de notre système de garde. Lancé par Mme Marois en 1997, il a permis au Québec de rejoindre le groupe des pays civilisés. Ce réseau est essentiel pour la participation des femmes au marché du travail, pour l'économie, pour le développement des enfants, pour la qualité de la vie familiale.

Le gouvernement Couillard a fait des choix dans ce dossier qui donnent certainement matière à la critique. Mais pourquoi le vocabulaire catastrophiste ? Quand on regarde les trois décisions qu'il a prises, rien ne ressemble, même de loin, à du saccage, du démantèlement ou ne permet de dire qu'on a laissé tomber le réseau.

La décision la plus récente, des compressions de 120 millions pour 2016-2017, s'ajoute aux mesures d'austérité des années précédentes, imposées au réseau de façon bête et brutale. Le nouveau ministre responsable du dossier, Sébastien Proulx, a toutefois atténué le choc et consenti au réseau une allocation de transition de 74 millions pour l'aider à améliorer leur gestion. C'est moins pire, mais le risque est réel que les services soient touchés. Mais une coupe de 120 millions, sur un budget de deux milliards et demi, ce n'est pas du saccage.

La deuxième décision, c'est la hausse de la contribution des parents. Il y a consensus sur l'idée de les faire payer plus. Le gouvernement Marois avait annoncé une hausse de 7 $ à 9 $ par jour. Le gouvernement Couillard a choisi une autre approche, la modulation. Quatre-vingts pour cent des parents ne paieront pas plus cher, mais les plus fortunés, surtout à partir d'un revenu familial de 100 000 $, paieront davantage à mesure que leur revenu augmente.

Ce sont deux conceptions de la solidarité qui s'affrontent. Mais faire payer les plus riches et épargner les 80 % restants peut difficilement être qualifié de saccage.

Le troisième élément est plus significatif, et c'est la forte croissance des nouvelles places dans le réseau privé. Il y a quatre composantes dans le réseau des garderies : les centres de la petite enfance, avec 91 700 places en décembre dernier, les garderies en milieu familial, 91 604 places, les garderies privées subventionnées, 45 977, et les garderies privées non subventionnées, 56 654.

Mais il y a eu un gros changement à partir de 2008. Sur les 88 818 places créées depuis, plus de la moitié, 49 903, l'ont été dans le réseau des garderies privées non subventionnées, auparavant quasi inexistantes. Pendant cette même période, le nombre de places n'a augmenté que de 14 535 dans les CPE, de 10 747 dans les garderies privées subventionnées, et de 3833 dans les garderies en milieu familial. Le phénomène s'amplifie maintenant à cause de la modulation des frais de garde.

Des parents forcés de débourser plus pour une place subventionnée découvrent que cela leur coûtera moins cher dans une garderie privée non subventionnée grâce aux crédits d'impôt. Cela crée un mouvement vers le privé.

Il ne porte pas atteinte, comme on a pu le croire, aux CPE, pour lesquels la demande reste forte. Mais il touche les garderies en milieu familial, où il y a maintenant des places vacantes. C'est ça qui a provoqué le branle-bas. Est-ce un drame ? À ma connaissance, le joyau, ce sont les CPE, pas les garderies en milieu familial, disparates et peu encadrées. Des parents peuvent préférer une bonne garderie privée, surtout quand cela devient financièrement avantageux.

Il n'en reste pas moins que, souvent, la qualité est moindre dans le réseau privé que dans celui des CPE, parce que le niveau est inégal dans le privé, qui n'a pas accès aux subventions, qui n'est pas suffisamment encadré. Mais ces places coûtent beaucoup moins cher à un État qui n'a pas les moyens de ses ambitions. Ce choix mérite un débat sérieux, fouillé, appuyé sur des faits.

Il ne peut pas se faire sur des mythes. N'oublions pas que la majorité des parents n'ont jamais eu accès aux CPE, tout joyaux qu'ils soient. Actuellement, ce n'est que 32 % des places qui sont en CPE, mais avant la croissance du privé, c'était à peine 38 %. Il ne peut pas non plus se faire avec des débordements verbaux. Le réseau des CPE est toujours en croissance, avec 3000 places de plus il y a deux ans, 2000 de plus cette année. Drôle de saccage.

PHOTO DAVID BOILY, archives LA PRESSE