Au premier abord, la conférence des premiers ministres en Colombie-Britannique, jeudi dernier, semble avoir donné des résultats assez vaseux. Lors de cette rencontre, un suivi de la conférence de Paris où le premier ministre Trudeau a engagé le Canada dans un processus ambitieux de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre (GES), les premiers ministres se sont entendus sur le principe d'une tarification du carbone, mais sans définir le concept, en convenant que chacun y arrivera à sa façon, et en remettant à plus tard la mise en oeuvre.

Voilà une bien maigre moisson. Mais ce résultat, même s'il semble peu concluant, est un petit miracle.

Le simple fait que les premiers ministres aient réussi à s'entendre sur quelque chose est en soi un tour de force, parce que le premier ministre du Canada et ceux des provinces avaient trois obstacles considérables à surmonter.

Le premier, c'est que les questions intimement liées de l'énergie et de l'environnement constituent certainement l'enjeu le plus difficile que la fédération canadienne ait eu à affronter depuis les pressions, il y a quelques décennies, de la question nationale québécoise. Le boom pétrolier a modifié de façon radicale l'équilibre économique canadien, en redéfinissant qui était riche et qui était pauvre, en bousculant la mécanique de la péréquation, un fondement du fédéralisme canadien, et en menant à un déplacement du poids politique vers l'Ouest, symbolisé par le règne de Stephen Harper.

Le second, c'est qu'indépendamment du fonctionnement du fédéralisme, le débat sur l'énergie et l'environnement met en présence des intérêts vraiment divergents. D'un côté, des provinces productrices qui veulent profiter de cette richesse et qui ont tendance à vouloir sous-estimer ses coûts environnementaux, et de l'autre, des provinces non productrices qui refusent de faire les frais de l'impact important de cette production pétrolière sur les émissions de GES, mais qui ont tendance à sous-évaluer les bénéfices qu'elles retirent de cette richesse. Des différences si grandes qu'on ne sait pas s'il est possible d'arriver à un terrain d'entente.

Cette opposition profonde s'est exprimée de façon caricaturale dans le dossier de l'oléoduc Énergie Est entre des gens de l'Ouest qui voudraient faire passer leur tuyau de force et le réflexe de village gaulois du maire Coderre ou du député péquiste Sylvain Gaudreault, qui dirait non « même s'il y coulait du Quik aux fraises ».

Le troisième obstacle, c'est que ces problèmes réels se sont envenimés pour devenir un véritable abcès, parce que le gouvernement Harper a laissé la situation pourrir pendant 10 ans, en prenant fait et cause pour les provinces productrices et en réduisant le conflit à une bataille entre ceux qui veulent créer des emplois et ceux qui veulent les détruire. Le premier ministre conservateur a transformé le Canada en combattant d'arrière-garde du statu quo et nous a fait perdre 10 ans dans la recherche de solutions.

En fait, cette décennie n'est pas totalement perdue, parce que la nature ayant horreur du vide, plusieurs provinces ont choisi d'agir et se sont dotées de politiques énergiques de réduction des GES.

Le Québec, avec son adhésion à la Bourse du carbone californienne ; l'Ontario, qui a emboîté le pas ; la Colombie-Britannique avec une taxe sur le carbone, et enfin l'Alberta maintenant néo-démocrate, qui a commencé à s'attaquer au problème. Les quatre principales provinces ont ouvert le chemin, dans une véritable convergence, assez pour que Philippe Couillard et la première ministre albertaine, Rachel Notley, soient capables de se parler.

L'arrivée d'un gouvernement libéral à Ottawa change aussi la donne, quoique le premier ministre Trudeau hérite d'une situation difficile : le poids de la décennie perdue, mais aussi le fait que, comme les provinces ont déjà mis en place des mécanismes de réduction de l'empreinte carbonique, il ne pourra pas mettre en place un système unique pancanadien de taxe sur le carbone dont il rêvait, parce qu'il ne peut pas demander aux provinces de renoncer à leurs initiatives. Il a d'ailleurs choisi de respecter leur autonomie.

Mais il n'en reste pas moins que cela rendra la tâche beaucoup plus difficile, parce que le système de lutte canadien contre les gaz à effet de serre sera une véritable mosaïque, et il ne sera pas facile de créer une cohérence entre ces initiatives disparates. Il faudra aussi affronter les résistances de quelques petites provinces, notamment la Saskatchewan qui, maintenant que l'Alberta est devenue modérée, incarne la ligne dure de la pétroculture.

Ce sera donc difficile. Mais il y a une chose dont il faut se souvenir. Selon des projections d'Environnement Canada, la production de GES atteindra 765 mégatonnes d'équivalent en dioxyde de carbone en 2030 avec les politiques actuelles, quand l'objectif annoncé par le Canada est de 524 mégatonnes.