Le premier réflexe de la plupart des gens, quand ils ont appris que Bombardier mettrait 7000 employés à pied, dont 2400 au Québec, a été un sursaut d'indignation. Le gouvernement du Québec a accepté d'injecter 1,3 milliard dans l'entreprise il y a moins de quatre mois, sans compter l'investissement de deux milliards de Bombardier, et tout ça pour que la compagnie élimine des emplois ?

Ce fut aussi la réaction des chefs des deux partis d'opposition à l'Assemblée nationale, qui sont tombés à bras raccourcis sur le gouvernement libéral pour lui reprocher, en substance, de ne pas avoir exigé de garantie de maintien d'emploi de Bombardier quand il lui a accordé son aide, et donc d'être responsable de ces pertes d'emplois.

Cependant, un chef de parti n'est pas un simple citoyen, mais un premier ministre en puissance, qui devrait savoir que l'idée d'exiger de Bombardier qu'elle maintienne ces emplois, aussi attrayante soit-elle au premier abord, serait non seulement simpliste, mais très probablement nuisible. Mais les règles du jeu de la vie parlementaire, où le rôle des partis d'opposition est de s'opposer et de critiquer le gouvernement, les contraignent au simplisme. Si Philippe Couillard était sur les banquettes de l'opposition, il ferait pareil.

Le chef péquiste, Pierre Karl Péladeau, en Chambre, a lancé, mercredi : « le gouvernement doit renégocier cette mauvaise entente afin qu'elle soit signée de façon définitive. Je demande au premier ministre de protéger tous les emplois de Bombardier, ici, au Québec, pas uniquement ceux de la série C. Va-t-il s'engager à le faire après que le gouvernement ait mis 1,3 milliard à l'intérieur de l'entreprise ? »

Passons rapidement sur le fait que M. Péladeau a lui-même mis en relief, dans le dossier d'Anticosti, des problèmes énormes qu'un gouvernement provoque en revenant sur la parole donnée. Insistons surtout sur le fait que M. Péladeau devrait se garder une petite gêne quand il s'agit d'élimination d'emplois. La croissance de Québecor a été généreusement soutenue par la Caisse de dépôt, ce qui n'a pas empêché l'entreprise, sous sa gouverne, de réduire le nombre d'employés de 17 300 en 2007 à 13 835 en 2014. Ce que je reproche à M. Péladeau, ce n'est pas cette baisse d'emplois, mais plutôt son amnésie. En tant qu'homme d'affaires, il sait pourquoi une entreprise doit parfois recourir à des licenciements ou à des réductions d'effectifs.

François Legault, le chef de la CAQ, allait dans le même sens, demandant au premier ministre : « Est-ce qu'il va renégocier l'entente avec Bombardier pour protéger nos emplois ? » M. Legault, comptable et homme d'affaires, sait aussi qu'une entreprise en difficulté financière est parfois forcée de faire des mises à pied pour assurer sa survie.

Bombardier est une entreprise mal en point, en partie seulement à cause des difficultés de lancement de sa nouvelle gamme de la C Series. Ce n'est pas pour rien que son action a plongé et qu'elle a dû frapper à la porte des gouvernements : des pertes de 5,3 milliards en 2015, une baisse des ventes, encore dans le rouge pour au moins deux ans. Sa relance ne dépendra pas seulement de l'aide publique, mais surtout de sa capacité de redresser très sérieusement la barre. Certains éléments sont en place : un nouveau souffle à la direction, une marge de manoeuvre du côté des liquidités, en partie grâce au Québec, de bonnes nouvelles du côté des ventes de la C Series avec Air Canada. Pouvait-on croire une minute que cela pourrait se faire sans réduire aussi les dépenses et le personnel ?

Forcer Bombardier à maintenir tous les emplois au Québec, comme le réclament le PQ et la CAQ, imposerait un carcan à Bombardier qui risquerait de plomber encore davantage la compagnie, de compromettre sa relance et de menacer du même coup l'important investissement qu'a fait le Québec.

Cependant, dans ce débat, il y a plus que le simplisme obligé du rituel parlementaire. Il y a quelque chose de plus profond, la conception même du développement économique qui prévaut dans le débat politique, la fixation sur l'emploi comme seul critère de décision et mesure du succès. La préservation coûte que coûte des emplois actuels, c'est le contraire d'une stratégie économique, c'est aussi le contraire d'une dynamique de création de richesse.

Le Québec n'a pas investi dans Bombardier pour sauver les emplois qui sont là, maintenant, mais pour sauver Bombardier, lui donner de l'oxygène pour qu'elle puisse traverser avec succès la crise qu'elle connaît, pour miser sur l'avenir et permettre à ce véritable fleuron québécois de continuer longtemps à produire, exporter, innover et créer des emplois.