Dans mes chroniques, je parle surtout d'économie et de politique publique. Ceux et celles qui me lisent se demanderont peut-être pourquoi je me suis vraiment éloigné de mon terrain de jeu habituel pour aborder, dans un livre que je viens de publier, un thème vraiment plus léger, celui de l'hiver et de la nordicité.

Pourquoi ? Justement parce que c'est léger, pour le plaisir de traiter d'un sujet moins austère, moins complexe que la plupart de mes sujets de chroniques. C'est aussi une façon de me défouler. Le titre de mon essai dit tout Maudit hiver : toutes les raisons de ne pas l'aimer. En écrivant un essai contre l'hiver, je me suis fait plaisir. Et je ferai peut-être plaisir à tous ceux qui n'aiment pas la saison froide.

Toutefois, je sais bien que pester contre l'hiver ne peut pas mener très loin, parce qu'on n'y peut rien.

Mais chassez le sérieux, il revient au galop. C'est ainsi que mon cri du coeur m'a mené à une réflexion sur la place de l'hiver dans nos vies, sur nos rapports à la nordicité, sur notre identité. Ma curiosité a notamment été piquée par les appels d'intellectuels, de chroniqueurs, de politiciens, qui souhaitent que les Québécois assument leur nordicité. Ce que mes réflexions et mes recherches m'ont plutôt amené à conclure, c'est que cette nordicité québécoise est largement un mythe.

En partant, le fait même que l'on veuille convaincre les Québécois d'assumer leur nordicité est un signe assez clair que, dans la vraie vie, ils ne l'assument pas. Ce que l'on peut voir au fait que, selon les sondages, à peine 25 % d'entre nous aiment vraiment l'hiver.

Pourquoi ? Parce que nous ne sommes pas des Nordiques. Pas tant à cause de nos origines qu'en raison de notre géographie. Une importante portion du territoire québécois est véritablement nordique, en gros celle du Plan Nord, mais nous y avons tourné le dos et nous n'y allons jamais. Le Québec habité, lui, se situe assez au sud. Montréal, pour sa latitude, est à la même hauteur que Bordeaux, Lyon et Venise. Chicoutimi est plus au sud que Paris ! Il est vrai que nos hivers, très rigoureux, font de nous des Nordiques à temps partiel. Mais il est également vrai que notre situation géographique nous donne des étés très chauds, parfois tropicaux, qui colorent aussi notre identité et qui nous distinguent des véritables Nordiques que sont les Scandinaves.

Il est plus facile d'être nordique quand on vit vraiment au nord. Copenhague, pour sa latitude, est plus au nord que la ligne qui sépare le territoire de la Baie-James du Nunavut. Stockholm est à plusieurs centaines de kilomètres au nord de Kuujjuaq. Mais leurs hivers sont doux, grâce au Gulf Stream et au climat océanique. En janvier, le maximum moyen est de 3 degrés Celcius à Copenhague. Convenons qu'il est pas mal plus facile d'assumer sa nordicité quand il fait au-dessus de zéro. Si les Québécois ont souvent des réactions négatives par rapport à l'hiver, c'est parce que celui qu'ils doivent subir est beaucoup plus brutal.

Mais il n'y a pas que la météo. Les premiers colons français, nos ancêtres, ont été décimés par l'hiver, assez pour avoir envers celui-ci un rapport d'amour-haine. Ils ont par la suite développé une culture de l'hiver qui a façonné l'identité québécoise, qui s'exprime dans le « Mon pays, ce n'est pas un pays, c'est l'hiver ». Selon moi, Gilles Vigneault, dont la perception du Québec est colorée par ses origines vraiment nordiques, Natashquan, chante un passé qui n'existe plus.

Mon hypothèse, c'est que cette culture traditionnelle de l'hiver est passée dans le tordeur de la modernité.

Dans le sillage de la Révolution tranquille, les Québécois, qui ont alors rejeté les symboles du passé - la vie rurale, la religion et la famille traditionnelle - ont également renié leur rapport à l'hiver.

Cette tendance est devenue irréversible, renforcée par l'urbanisation, car l'hiver est vraiment plus pénible en ville ; par le vieillissement, car le froid est plus difficile à supporter quand on avance en âge ; par l'immigration qui provient surtout de pays chauds, et par l'enrichissement qui nous permet d'aller voir ailleurs.

J'irais plus loin. Les Québécois, au fil des ans, ont développé une culture du sud. Ils ne voient plus le Québec comme un pays d'hiver avec une parenthèse estivale, mais plutôt comme un pays d'été avec une parenthèse hivernale. Ils y parviennent en étirant l'été des deux côtés, en ouvrant leur piscine au mois d'avril, en faisant fonctionner les terrasses jusqu'en novembre, en jouant au golf jusqu'au gel. L'image de Montréal, par exemple, repose essentiellement sur ses festivals, ses rues piétonnières, ses terrasses, essentiellement des attributs estivaux. Cette culture du sud, on la voit aussi au fait que la Floride et la République dominicaine font bien davantage partie de notre géographie intérieure que Kuujjuaq.

Il est vrai que les Québécois ont développé, depuis quelques années, des pratiques hivernales : les sports d'hiver, des événements comme Montréal en lumière ou Igloofest. Et c'est très bien. On pourra être tentés d'y voir une résurgence d'un sentiment nordique. J'y vois plutôt des réflexes très sains pour rendre supportable un hiver qui, autrement, ne le serait pas.