Dans la lettre ouverte où il réagit au flot de critiques dont il a été l'objet, le commissaire Renaud Lachance a commis une erreur. Il se plaint d'être victime d'une chasse aux sorcières. Il serait beaucoup plus précis de dire qu'il a joué involontairement le rôle de bouc émissaire.

La chasse aux sorcières a déjà eu lieu, il y a quatre ans, à partir du lancement de la commission Charbonneau. Cet exercice de défoulement collectif qui avait pour but premier d'aider à digérer le choc des révélations sur la corruption municipale avait un autre objectif dans l'esprit de bien des gens, celui de démontrer que le système qui avait gangréné le monde municipal rongeait aussi le gouvernement provincial et plus particulièrement celui que dirigeait Jean Charest.

Si le rapport Charbonneau a déçu bien du monde, ce n'est pas surtout parce qu'il était trop mou ou qu'il ne distribuait pas de blâmes, mais parce qu'il n'a rien trouvé de tel. Dans la logique de lynchage qui entourait la commission, le fait de ne pas trouver coupables ceux qui avaient dès le départ été désignés comme coupables constituait un échec.

Mais si la Commission n'a pas mis au jour de système de corruption et de collusion au niveau provincial, elle a bien documenté l'existence de pratiques de financement illégal chez les grands partis, et plus encore chez les libéraux. Cela n'est pas de même nature que la corruption, cela ne revêt vraiment pas le même degré de gravité que ce qu'on a découvert au niveau municipal, mais le fait que les partis se financent systématiquement et souvent illégalement auprès d'entreprises susceptibles de faire affaire avec le gouvernement crée un risque clair de favoritisme.

La Commission n'a pas trouvé de lien direct entre les contributions politiques et l'octroi de contrats publics, mais Mme Charbonneau estime qu'il peut y avoir un lien indirect. C'est là que se situe la dissidence de M. Lachance, qui se refuse à voir ce lien indirect. On a fait grand cas de ce désaccord, mais en fait, il ne change pas grand-chose. Que le lien indirect existe ou pas, le caractère condamnable de ces pratiques est tout aussi entier. Elles véhiculent, comme l'a écrit Mme Charbonneau, « une apparence de corruption politique », elles donnent un pouvoir inquiétant aux collecteurs de fonds des partis, elles permettent une proximité malsaine entre le gouvernement et ses fournisseurs, elles envoient un message toxique, celui que ceux qui payent seront récompensés.

Dans un monde normal, on se serait arrêté là. Dans une société de droit, quand on confie un mandat à une commission d'enquête, on devrait en principe respecter ses travaux et ses conclusions. On aurait pris acte, avec soulagement, que la commission conclut qu'il n'y a pas de corruption systémique au niveau provincial. On aurait pris acte qu'elle documente un système de financement illégal. On aurait noté qu'il n'y a pas consensus chez les deux commissaires sur les conséquences de ces pratiques, mais qu'ils s'entendent pour les condamner et proposent des moyens pour y mettre fin.

Ce n'est pas ce qui est arrivé. Dans une rare unanimité, observateurs et médias ont critiqué la Commission parce qu'ils n'aimaient pas ses conclusions.

Les yeux se sont tournés vers Renaud Lachance qui, à cause de sa dissidence, a été identifié comme le responsable de l'échec et est devenu le bouc émissaire.

Avec des attaques personnelles, une remise en cause de son indépendance.

Quand l'explication de sa dissidence est beaucoup plus simple. Je ne suis pas un gros fan des vérificateurs généraux, avec leur logique de comptables que je trouve rigide et tatillonne et leur refus de faire les nuances contextuelles essentielles dans l'administration publique. C'est cette grille qu'il a appliquée à ses réflexions au sein de la commission, celle qui consiste à ne tenir compte que de ce qui est mesurable et écrit noir sur blanc.

Ce mouvement de dénigrement a culminé avec les fuites sur ses échanges acrimonieux avec la présidente France Charbonneau. Personne ne semble s'être préoccupé du fait qu'il y a vraisemblablement quelqu'un, au sein de la Commission, qui, en orchestrant une telle fuite, a gravement manqué à son devoir. Et que cela permet de craindre qu'il y avait dans cette commission des éléments plus préoccupés par leur agenda personnel que par leur mandat.

Depuis le dépôt du rapport de la commission Charbonneau, bien des gens ont souligné que l'important, pour la suite des choses, c'étaient les recommandations de la Commission et surtout leur mise en oeuvre rapide par les autorités politiques. La fuite sur les échanges internes entre les commissaires n'est pas qu'une « job » de bras contre Renaud Lachance. Elle contribue à miner l'autorité morale que pouvaient avoir les deux signataires du rapport avec leurs recommandations unanimes.