Il y a quelqu'un qui s'est distingué dans le débat des chefs sur l'économie, jeudi soir. Et c'est Justin Trudeau.

Je n'emploie toutefois pas le verbe distinguer dans le sens du terme signifiant qu'il s'est montré meilleur que ses deux adversaires, mais plutôt dans le sens qu'il a présenté quelque chose de différent, de distinct de ce que proposent Stephen Harper et Thomas Mulcair, par le style et le contenu.

Justin Trudeau est le seul des trois leaders à avoir énoncé ce qui ressemble à une vision. Il n'a pas pour autant remporté le débat, parce que cette vision reste floue et qu'elle est une arme à double tranchant qui peut soit donner un élan à la campagne libérale, soit la plomber.

Ce que Justin Trudeau propose est simple : créer un déficit de 10 milliards par année pendant trois ans pour financer de vastes travaux d'infrastructures qui permettront de dynamiser une économie stagnante. Cela lui permet d'abord de se distinguer en rompant le consensus politique sur le déficit zéro. Cela a aussi permis de mettre de la passion dans son propos en faisant miroiter des projets qui peuvent faire rêver - économie verte, transports en commun - et surtout d'exprimer un sentiment d'urgence, du genre « le long terme commence maintenant ».

Ça, c'est la forme. Mais pour le fond, son plan tient-il la route ?

Justin Trudeau n'a pas réinventé la roue. L'idée de lancer de grands travaux publics pour stimuler l'économie est terriblement banale.

C'est ce qu'ont fait tous les gouvernements, y compris celui de Stephen Harper, depuis 2009. Et même si ces investissements répondent à des besoins, il n'est pas évident que le ralentissement temporaire et mineur que connaît le Canada nécessite ce qui est une mesure de relance d'urgence. 

Plus encore, cette logique de l'immédiat n'aidera pas à résoudre les vrais problèmes de l'économie canadienne. Mais ce plan, avec ses limites, permet à Justin Trudeau d'envoyer deux messages. D'abord, sa fougue et ses élans oratoires, en contraste avec le ton posé de Thomas Mulcair et de Stephen Harper, comportent une dimension générationnelle, une jeunesse du chef libéral qu'on ne retrouve pas chez ses adversaires. 

Ensuite, une approche qu'on peut qualifier de plus progressiste, qui a poussé le chef néo-démocrate, dont le propre plan économique est moins enlevant - une hausse des taxes sur les entreprises pour financer ses engagements et la promesse de produire un surplus budgétaire -, à jouer la carte de la raison, à qualifier le chef libéral de « téméraire » et à se retrouver davantage dans le camp de Stephen Harper.

ÉCHANGES MUSCLÉS ENTRE MULCAIR ET TRUDEAU

D'ailleurs, les échanges les plus musclés ont eu lieu entre MM. Mulcair et Trudeau pour savoir lequel des deux était le plus à gauche. Cette bataille, Justin Trudeau l'a gagnée. Mais en campant Thomas Mulcair comme un homme de droite, il a aussi aidé le chef néo-démocrate dans ses efforts pour refaçonner l'image de son parti et le présenter comme une solution raisonnable et fiscalement responsable.

Et dans ce brouhaha, le premier ministre Stephen Harper a projeté une image de calme, de politicien en maîtrise de ses dossiers malgré les critiques dont il était la cible et dont le message, fort simple, consistait à proposer de poursuivre ce qu'il a fait depuis neuf ans et qu'il résume lui-même en parlant d'impôts bas et de budget équilibré.

Ce débat en anglais, organisé par le Globe and Mail, n'a pas été vu par grand monde, notamment parce que ses canaux de diffusion étaient restreints. Mais il a eu une utilité, celle de mieux circonscrire l'espace qu'occupe chacun des trois candidats, de définir un peu mieux le choix qui attend les électeurs.

Stephen Harper, on le sait, incarne la continuité. Thomas Mulcair propose une alternative prudente au règne conservateur, qui représente de moins en moins un saut vers l'inconnu. Et contre toute attente, c'est Justin Trudeau qui incarne davantage le changement.