Je vais commencer cette chronique avec une observation sur la nature humaine. Les gens sont certainement préoccupés par les questions économiques, mais ils ne s'intéressent pas à l'économie.

Ce double sentiment explique la façon dont les enjeux économiques sont traités dans le débat politique. Même s'ils prennent une grande place, comme c'est le cas dans cette campagne électorale, cela se fera de façon indirecte. Les gens veulent des réponses à leurs problèmes - chômage, insécurité, retraite, pouvoir d'achat - sans pour autant vraiment s'intéresser au comment, aux façons proposées par les partis pour y répondre.

Fondamentalement, ce que les électeurs veulent entendre, c'est que ça va bien. Quand il devient évident que ça va mal, ils cherchent quelqu'un qui leur dira que ça ira mieux. Et leur choix, ils le baseront sur des images, sur des impressions, par exemple l'apparence de compétence des chefs, sur des messages.

C'est cette guerre des messages que Stephen Harper a perdue. Si d'autres facteurs ont joué dans ses difficultés actuelles, comme l'usure du pouvoir ou, récemment, la crise des réfugiés, la façon dont la chute brutale des prix pétroliers a touché l'économie canadienne a eu un effet dévastateur sur sa campagne.

Pas seulement parce que ce sont des mauvaises nouvelles - un parti peut fort bien remporter une élection en période trouble -, mais parce que la nature de cette crise a dégonflé un à un les messages des conservateurs et démoli leur échafaudage argumentaire.

La campagne patiemment préparée par Stephen Harper reposait sur trois fondements : la performance économique du Canada sous la houlette conservatrice, l'efficacité de son plan économique et de son « leadership fort », et sa prudence fiscale. Ce qui menait à trois messages : le succès, la vision, la solidité. Et ce qui alimentait trois images symboliques, celles du gagnant, du timonier et du bon père de famille.

Le premier message, autour de la performance économique, reposait sur le fait que le Canada, depuis la crise, a mieux fait que les pays du G7. Mais le choc pétrolier a poussé le Canada en récession. Si cela nuit aux conservateurs, ce n'est pas, à mon avis, parce que cela provoque de grandes inquiétudes, tout le monde peut comprendre qu'il s'agit d'un recul mineur et temporaire.

Mais sur le plan de l'image, le fait Canada a perdu son invincibilité. Seul pays du G7 en récession, il a cessé d'être un champion économique.

Le deuxième message, c'était celui du contrôle et de la vision. Les conservateurs ont réinventé le vocabulaire politique. Ils ne présentaient plus des budgets, mais bien des « plans d'action économiques » dont les mots-clés suggéraient que les conservateurs avaient un plan et qu'ils agissaient. Le choc pétrolier a révélé que le succès canadien était gonflé à l'EPO des exportations lucratives et des investissements pétroliers. La baisse des prix a crevé la bulle, révélant du même coup qu'il n'y avait pas de plan derrière ce succès éphémère et pas de stratégie de remplacement. Ce qui a aussi montré que le fait de mettre tous ses oeufs dans le même panier, avec un coût environnemental important, était rétrospectivement une très mauvaise idée.

Le troisième message, c'était celui de la rigueur financière. Les conservateurs avaient promis un retour à l'équilibre budgétaire, un crédo dans leur famille politique. Grâce à leur dernier budget, ils pouvaient se présenter à l'électorat en disant promesse tenue et mission accomplie. Mais l'impact des événements pétroliers plombera les finances publiques d'environ 3,5 milliards, ce dont Stephen Harper refuse de prendre acte.

Il est pourtant clair qu'il se dirige soit vers un déficit, soit vers des mesures d'austérité pour atteindre le déficit zéro. Mais il y a plus. Dans ce dossier, le gouvernement Harper a abandonné la prudence qui était sa marque de commerce, en faisant preuve de trop d'optimisme dans ses prévisions, en éliminant les coussins pour se protéger des coups durs et, surtout, en annonçant d'importantes baisses d'impôt pour les familles qu'il n'avait pas les moyens de financer.

Et c'est ainsi que Stephen Harper, privé de ses messages les plus porteurs, a dû ajuster son discours, pour insister sur les vertus de la continuité en période de turbulence, ou pour dénoncer l'expérience ou l'irresponsabilité de ses adversaires, des arguments qui, jusqu'ici, ne semblent pas très bien fonctionner.