Il y a un grand paradoxe dans le débat sur les finances publiques depuis le début de la présente campagne électorale. Le parti qui a fait de l'équilibre budgétaire et de la gestion serrée sa marque de commerce, c'est le Parti conservateur.

Et pourtant, le gouvernement qui s'est vraiment distingué sur ce terrain, le seul qui a vraiment réussi à transformer des déficits en surplus, c'est celui de Jean Chrétien et de son ministre des Finances Paul Martin. L'histoire de Stephen Harper au pouvoir, c'est plutôt le contraire.

Les libéraux de Jean Chrétien avaient hérité d'un déficit de 37,2 milliards du gouvernement conservateur de Brian Mulroney, quoique ce dernier a posé les jalons du retour à l'équilibre. Après trois budgets déficitaires, les libéraux ont affiché ensuite neuf surplus de suite.

Les conservateurs de Stephen Harper, sur la lancée de leurs prédécesseurs libéraux, ont produit des surplus pour leurs deux premières années au pouvoir, pour ensuite basculer dans les déficits en 2008-2009. En tout, ils auront enregistré sept déficits consécutifs, dont un qui a atteint un record absolu de 55,6 milliards. Cette série rouge devait se terminer cette année, avant la multiplication des mauvaises nouvelles économiques.

Ces déficits s'expliquent par la crise mondiale. Ils étaient inévitables. La formule du chef libéral Justin Trudeau pour caractériser le règne conservateur, « déficit après déficit après déficit », est injuste et démagogique. On doit ajouter que les efforts du gouvernement Harper, dans ces circonstances très difficiles, pour revenir à l'équilibre ont été constants et prudents. Celui-ci a en outre évité le dogmatisme en reportant deux fois l'année du retour à l'équilibre. Mais c'est quand même un drôle de « branding » pour les conservateurs de vouloir se présenter comme les rois du déficit zéro.

Ce qui distingue le gouvernement Harper, ce ne sont pas ces données globales sur les surplus et les déficits, mais ce que l'on trouve derrière les chiffres, les choix qu'il a faits pour revenir à l'équilibre.

L'économiste Jean-Pierre Aubry, chercheur associé au CIRANO, a bien résumé l'empreinte des conservateurs sur les finances publiques. Pendant leur passage au pouvoir, il y a eu une réduction de 17 milliards du surplus budgétaire et une réduction de 24 milliards du service de la dette grâce à la baisse providentielle des taux d'intérêt. Deux éléments qui ont donné en quelque sorte une marge de manoeuvre de 41 milliards au gouvernement, dont celui-ci s'est servi pour réduire les impôts et les taxes de 33 milliards et augmenter les dépenses de 8 milliards. Les choix sont là.

Cette importante baisse des impôts a fait en sorte que le fardeau fiscal est à son plus bas niveau depuis un demi-siècle, aux alentours de 14 % du PIB contre 16 % à l'arrivée au pouvoir des conservateurs. À un premier niveau, cela a mis plus d'argent dans les poches des citoyens, quoiqu'on doive noter que le gouvernement Harper a choisi la pire façon de le faire, avec une réduction de la TPS de 7 % à 5 % qui va à l'encontre de toutes les bonnes pratiques mondiales.

Mais à un second niveau, cela a affecté profondément la place de l'État dans la société. Un gouvernement qui vide ses coffres et élimine sa marge de manoeuvre par des baisses d'impôt peut mieux résister aux pressions pour le pousser à dépenser plus. C'est la meilleure façon de réduire le poids de l'État.

D'autant plus que cela a aussi eu pour effet de mettre beaucoup plus de pression sur le contrôle des dépenses dans la lutte au déficit. La hausse de 8 milliards des dépenses fédérales en neuf ans est minime, bien inférieure à l'inflation. Et cela cache un autre choix. Les transferts aux personnes ont augmenté plus que l'inflation, les transferts aux gouvernements sont restés stables, mais c'est la machine gouvernementale qui a absorbé le choc. Les dépenses de programmes sont ainsi passées de 6,1 % à 5,5 % du PIB.

Bref, ce n'est pas sur les plans économique et financier que le gouvernement Harper s'est distingué dans ses politiques budgétaires et fiscales, mais bien sur le plan politique. Avec ses baisses d'impôt et sa stratégie d'élimination du déficit, le gouvernement conservateur a imprimé un changement profond au fonctionnement du gouvernement et redéfini la place de l'État. C'est ce bilan qui devrait être au coeur des débats de la présente campagne.